« A Mayotte, nous avons entrepris de relancer une filière de terre crue pour la construction d'un lycée », Nicola Delon, architecte
- Dossier réalisé par Frédéric Mialet
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Mur de pisé pour salles obscures, un cinéma par Encore Heureux
ÉLOGE DE LA TERRE CRUE
Grâce au développement de nouvelles techniques - brique de terre compressée ou extrudée, terre coulée dans des banches -, la mise en œuvre des matériaux géosourcés devient accessible à un plus grand nombre d'entreprises. Une filière de fabricants et de formateurs se constitue progressivement et la recherche-développement progresse, annonçant de premières avancées réglementaires. Pour les acteurs de la ville décarbonée, l'art d'utiliser au bon endroit la terre crue, souvent associée à des fibres végétales, constitue une piste d'avenir. Rencontre avec l'architecte Nicola Delon de l'agence Encore Heureux, qui livre un cinéma enveloppé de pisé en Haute-Garonne.
AMC : La terre crue peut-elle redevenir un matériau courant dans le bâtiment ?
Face à l'épuisement des ressources, nous n'avons pas vraiment le choix. Ce matériau ancien, avec ses avantages et ses contraintes, a été remplacé par le parpaing et le béton armé ; les savoir-faire se sont perdus et les artisans de la filière peinent à s'organiser. Les concepteurs ont beau prescrire la terre crue, si personne n'est capable de la préparer et de la mettre en œuvre, ce sera difficile. Il y a cinq ans, nous avons gagné un concours pour un lycée de 30 000 m² à Mayotte, avec la proposition de le bâtir avec du bois et de la brique de terre crue compressée (BTC). Compte tenu de l'échelle du projet, nous avons entrepris de relancer la filière locale de la terre crue, rencontré nombre d'artisans et de petites briqueteries pour imaginer avec eux comment les fédérer. Le projet est actuellement en fin de phase d'appel d'offres. La terre crue employée sera stabilisée avec du ciment, le chantier devrait durer trois ou quatre ans car la presse des BTC restera manuelle et la pose artisanale.
AMC : Vous avez réalisé une façade en pisé pour un cinéma à Colomiers. Quelle leçon en tirez-vous ?
Le choix de bâtir un mur porteur en pisé suppose de savoir convaincre les commanditaires, mais aussi de s'assurer qu'il s'agit d'une économie réaliste et de démontrer une capacité à réaliser l'ouvrage sur le plan technique. A Colomiers, il nous a fallu persuader nos interlocuteurs avec l'appui de spécialistes. Nous sommes allés chercher un maçon grenoblois réputé dans le domaine qui a accepté d'apprendre la technique du pisé à un artisan toulousain motivé, pour la promouvoir dans la région puis faciliter la maintenance de l'ouvrage. En phase de réalisation, une dizaine de personnes, souvent militantes, s'est investie dans l'opération de compactage entre deux banches, par couche de 14 cm d'épaisseur à ramener à quelque 9 cm selon un ratio estimé à 1 m²/individu/jour. Une partie du chantier a dû être menée en hiver, ce qui a nécessité l'ajout de chaux dans la terre pour l'assécher et éviter le risque de gel sans en modifier l'aspect originel. Ce point de détail compte pour un mur qui restera à l'état brut sur ses deux faces et a coûté relativement cher dans le contexte actuel.
Propos recueillis par Frédéric Mialet