André Wogenscky au quotidien
- A.B.
- Livres
Autant le dire d'emblée, cet ouvrage consacré à la maison Bandelier, la première commande d'André Wogenscky, n'est pas un livre d'architecture comme les autres. Remarquable, il se distingue par sa capacité à traiter d'un bâtiment sous l'angle du récit, on pourrait même aller jusqu'à dire de celui du vivant, ce qui n'est pas incompatible avec le sérieux d'une approche historique et archivistique.
Toutes les composantes sont là pour intriguer le lecteur : une œuvre méconnue de Wogenscky, lui-même trop souvent perçu comme l'ombre de Le Corbusier dont il fut l'adjoint, un client vétérinaire et sa femme avides de modernité, la ruralité de la petite ville de Saulieu située au cœur du Morvan. Comme s'il s'agissait d'une enquête, voire d'un roman, ils sont mis en scène par les deux auteurs qui, pour retracer l'histoire de ce bâtiment jusqu'à aujourd'hui, se sont en quelque sorte substitués à l'architecte. Traduite dans un aspect quotidien, la relation aux archives s'en trouve enrichie parce qu'elle amène du sens, évite l'écueil de réduire cette maison à un seul statut d'icône. Si de splendides photographies contemporaines et la reproduction d'articles tels ceux publiés à l'époque dans Domus donnent la mesure architecturale et plastique de cet habitat-structure, c'est le fil tendu de son histoire constructive qui nous donne les outils pour l'appréhender et l'impression de faire connaissance avec ses occupants.
La construction d'un suspens
On est ainsi introduit au cœur de la temporalité du projet en train de se faire, avec les entreprises sur le chantier marqué par ses bonnes surprises et ses déconvenues. Et le suspens fonctionne, car on assiste également aux délicates fluctuations du rapport de confiance client-architecte, jusqu'à l'occupation des lieux par la famille Bandelier dont la patience, pendant quatre années, aura parfois été rudement éprouvée. En témoigne la mise en garde de Wogenscky dès 1955 : « Il est bien exact que construire une maison est, sinon une aventure, tout au moins un grave problème qui n'autorise aucune erreur. C'est pour cela qu'il ne faut pas vous presser pour prendre une décision. » De même, la place accordée aux membres de la famille qui ont généreusement ouvert leurs portes et souvenirs permet de restituer des vécus sur plusieurs générations. Une mise en perspective qui va au-delà de la description des usages et dévoile des processus d'appropriation par les habitants successifs. Divisé en quatre parties, le livre propose des lectures multiples qui peuvent être linéaire, syncopée ou transversale, servies par une maquette limpide qui a su unifier un matériel iconographique éclectique, tout en conservant l'identité de chaque document. Quant à l'étude architecturale et, plus largement, à la démarche de Wogenscky, elles n'en sont pas moins présentes au fil des pages, faisant apparaître avec encore plus de relief le caractère intrinsèque de la maison de Saulieu - ainsi, par exemple, l'interprétation moderne de l'utilisation du matériau local qu'est le granit.
Ouvrant d'instructives échappées, les présentations de sa propre maison-atelier à Saint-Rémy-lès-Chevreuse ou de la maison Chupin à Saint-Brevin-l'Océan éclairent autant sur leurs différences que sur ce qui rassemble ces trois habitations, à savoir la recherche d'un espace domestique véritablement incarné.
- La maison Bandelier, André Wogenscky à Saulieu, Cyril Brulé, Christelle Lecœur. Contribution de Dominique Amouroux, Bernard Chauveau éditeur, coll. Lieux d'architecture, coédité avec la maison de l'architecture de Bourgogne, 104 p., 20 €.