Dans les écoles d’architecture en lutte, les enseignants mobilisés

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Dans les Ensa en lutte, un air de mai 68

Le 6 février 2023, l’École d’architecture de Normandie entrait en grève pour dénoncer la précarisation de sa mission d'enseignement. Deux mois plus tard, une partie des 20 Ensa a rejoint le mouvement de contestation Ensa-en-lutte parti de Rouen. Alors que la parole étudiante résonne dans les rues et les établissements, l’engagement de leurs enseignants dans la mobilisation, apparemment plus discret, n’est pas moins fort. Un préavis de grève des Ensa est déposé pour le 14 avril 2023, journée à laquelle devraient participer nombre d’entre eux. Rencontres, à l'Ensa Bretagne et à l'Ensa Paris La-Villette.

Alors que la mobilisation étudiante face à la précarisation de leurs conditions d’apprentissage en école d’architecture occupe le devant de la scène médiatique depuis mars, qu’en est-il de l’engagement de leurs enseignants ? Sans doute invisibilisés parce que moins nombreux que les milliers d’étudiants qui peuplent les Ensa, quelles sont leurs revendications et leurs actions ? Si on les entend peu, les enseignants des 20 Ensa n’en sont pas moins impliqués dans la lutte. Dans le collectif Ensa-en-lutte, qui revendique regrouper les 20 écoles d’architecture, chaque établissement prend part aux débats hebdomadaires via une délégation composée d’un enseignant, d’un étudiant et d’un agent administratif.

 

Au-delà d'Ensa-en-lutte, nombreux sont les enseignants à assurer que le diagnostic dressé par l’école d'architecture de Normandie est commun à beaucoup d’Ensa, même si chaque établissement a ses spécificités et ses besoins. C'est ce qu’ont souligné les conseils d’administrations et conseils pédagogiques et scientifiques des écoles dans des courriers envoyés au ministère de la Culture – qui assure leur tutelle – au mois de mars, dès les premiers jours de la mobilisation. Dans la plupart des Ensa, on manque de moyens humains et financiers pour fournir aux futurs architectes un enseignement et un cadre de travail à la hauteur des enjeux pédagogiques établis dans les programmes, et ce malgré l’engagement et l’énergie de tous. « Depuis plusieurs années déjà, nous faisons face à l’enchaînement des cours liés aux problèmes d’organisation des salles, et au fait de faire plus d’heures d’enseignement que demandées. Nous faisons notre possible pour absorber et couvrir ce manque de moyens, mais le non remplacement des collègues en congés maladie ou maternité est par exemple de plus en plus difficile à masquer. Aujourd’hui, cela fait vraiment figure d’évidence pour les étudiants », décrit Jean Réhault, architecte et enseignant à l’Ensa Bretagne.

 

Face à cela, l'architecte Loïse Lenne, également enseignante à l’Ensa Bretagne, assure qu’avec ses collègues, ils passent « beaucoup de temps à démonter le discours du ministère de la Culture et les faux chiffres qu’il diffuse en réponse aux critiques de gestion qui lui sont formulées par les Ensa ; à déjouer sa promotion de la réforme des écoles d’architecture de 2018, dont les ambitions ne sont en réalité pas tenues, et surtout, ne sont pas suffisantes. » Le diagnostic est simple, les enseignants travaillent « dans des conditions matérielles précaires et ce, en assurant des services de 320 heures d’enseignement par an, quand ceux de nos collègues de l’université sont de 192 » décrit Marc Bourdier, architecte et enseignant à l’Ensa Paris-La Villette.

Des moyens d’actions différents et en construction 

Avec la clarification de leurs revendications, l’enjeu pour les enseignants des Ensa est de trouver les modalités d’une mobilisation à l’échelle nationale, dans les 20 établissements de leur communauté, pour mettre en place un rapport de force différent avec l’administration de tutelle. Alors que dans de nombreuses écoles, des assemblées générales d'enseignants sont initiées chaque semaine pour qu’ils aient leur propre moment de concertation, les moyens de la lutte apparaissent nécessairement différents de ceux des étudiants. « Les leviers et les moyens de pression des enseignants des Ensa ne sont pas très nombreux, et certainement plus imperceptibles que ceux des éboueurs », convient Jean Réhault. Malgré tout, des pistes existent et ont déjà été actées par différentes écoles comme boycotter le prix Réséda, lancé par le ministère de la Culture en janvier 2023 pour distinguer tous les ans 20 diplômes « éco-responsables » ou encore refuser de participer à l’autre projet du ministère, “Archi-folies” visant à faire fabriquer aux Ensa, 20 pavillons pour les jeux olympiques et paralympiques 2024. Bloquer l'usage de la plateforme Parcoursup pour sélectionner les futurs étudiants des Ensa est également en discussion, action dont l’impact irait bien au-delà du monde de l’architecture. Enfin, un préavis de grève des Ensa a été déposé pour le vendredi 14 avril. Pour les enseignants qui s’y joindront, s’afficher en nombre ce jour-là est un enjeu pour visibiliser leur engagement dans la lutte auprès du ministère de la Culture, au moment où la ministre Rima Abdul Malak et Hélène Fernandez, la nouvelle directrice de l’architecture, recevront les directeurs des 20 écoles.

Continuer à enseigner…

À leurs revendications, les enseignants voient s’ajouter une crainte, celle de la continuité des enseignements. Aujourd’hui, les enseignants de l’Ensa Bretagne, s’interrogent sur la manière de poursuivre l’enseignement tout en se mobilisant, et en permettant aux étudiants de le faire également. Apprendre, enseigner et se mobiliser, voilà la difficile équation que doivent résoudre les Ensa, si elles veulent faire aboutir leurs demandes de plus de soutiens humains et financiers auprès du ministère de la Culture.

 

« Au-delà du fait qu’il est difficile de ne pas pouvoir mettre en œuvre le programme sur lequel nous avons beaucoup travaillé et que nous mettons en œuvre pour la première année seulement, nous sommes inquiets pour le futur des étudiants qui ne suivraient pas les cours du fait de blocages prolongés », déplore Jean Réhault. « Nous ne sommes pas dans le même cadre que les étudiants, mais nous sommes tous dans le même bateau, décrit Loïse Lenne. Nous voulons enseigner, et enseigner l’architecture se fait en 10 semestres, pas en 9. Ainsi, nous sommes présents à l’école, même les jours où les cours sont suspendus, c'est-à-dire une fois par semaine sur décision de l’assemblée générale de l’Ensa Bretagne. Nous nous mettons à disposition des étudiants, organisons des moments d’échanges avec eux, à propos des enjeux de la mobilisation ».

… mais comment ? 

Alors que dans quelques Ensa, se diffuse le « semestre différencié », synonyme de non-redoublement pour les étudiants à l’issue de cette année particulière, la pédagogie et sa mise en place semble constituer un nouvel outil de la lutte étudiante. Au cœur de leurs revendications, le renforcement de la transition écologique comme pivot de l’apprentissage, et l’abolition de la “culture de la charrette” encore trop vivace dans les écoles. Autant de sujets dont la perception apparaît différente selon les Ensa, fonction de l’actualisation des enseignements aux enjeux contemporains de l'architecture, et d’enseignants mobilisés depuis longtemps au sujet des rythmes de l’apprentissage.

 

« L’on a pas attendu que l’environnement préoccupe le gouvernement pour mettre en place, dans l’enseignement de l’architecture, la transition écologique et la transition numérique, d’ailleurs portée par les étudiants dans les agences » souligne Marc Bourdier. Même récit à l’Ensa Bretagne : « le nouveau programme pédagogique de l’Ensa Bretagne confronte les étudiants aux grands enjeux contemporains et aux questionnements sociaux actuels », explique Loïse Lenne, qui regretterait que les revendications se déplacent sur le champ de la pédagogie dans ce contexte. « Ce dont nous avons besoin, c’est de moyens financiers et humains. Il manque 10 postes environ à Rennes », poursuit l’enseignante.

 

À l’école d’architecture de Paris-La Villette, cette volonté des étudiants de repenser les modalités et le contenu des enseignements doit être écoutée, d’après certains enseignants. Leurs assemblées générales prévoient, en ce sens, « d’inventer des cours en réponse au mouvement, mais également d’orienter les cours existants en soutien à cela, indique Marc Bourdier. Nous sommes certes des permanents de l’enseignement de l’architecture, mais l’école est aux étudiants ! Ils ne sont pas là pour s’y adapter, mais pour la transformer, et nous devons les y aider. »

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