Déconstruire un pont à Gênes, de Morandi à Piano - Livre
- Jean-Michel Léger
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Peut-être ce livre se serait-il appelé Naissance d’un pont, si le titre n’avait pas déjà été pris par Maylis de Kerangal pour son roman. Quoi qu’il en soit, "Autopsie d’un pont" retrace parfaitement l’aventure de la construction du pont de Gênes, dont on connaît la fin tragique, le 14 août 2018, son écroulement causant la mort de 43 personnes.
Peu de temps après le drame du pont de Gênes, les Editions Parenthèses réalisent un exploit: publier un ouvrage dont la très belle maquette et la superbe iconographie sont mises au service du texte, brillant, de Cyrille Simonnet, déjà auteur chez l’éditeur d’un livre de référence sur l’histoire du béton. Celui-ci, dont l’écriture est à la fois précise et littéraire, fait de l’histoire du pont Morandi un récit passionnant par la manière dont il se saisit du cas de l’ouvrage d’art pour élargir sa réflexion aux notions de résistance, de risque ou de catastrophe, le pont devenant le symptôme d’une société qui refuse le risque.
Du béton de Morandi à l’acier de Piano
Riccardo Morandi (1902-1989), qui est avec Pier Luigi Nervi la grande figure de l’ingénierie italienne du XXe siècle, eut un rôle novateur dans la précontrainte du béton (il déposa plusieurs brevets dès 1948), ce qui lui assura très tôt une renommée internationale. Cyrille Simonnet cite Michel Virlogeux, l’ingénieur des ponts à haubans (pont de Normandie, viaduc de Millau, etc.), selon lequel l’ouvrage de Gênes et les neuf kilomètres du pont-viaduc franchissant la lagune de Maracaibo, au Venezuela, sont dignes de figurer au côté du viaduc de Garabit (Cantal, Léon Boyer et Gustave Eiffel, 1888), du pont de Forth (Edimbourg, Adam, Baker, Fowler, 1890) et du Golden Gate (San Francisco, Strauss, 1937). Comme celui de Maracaibo, le pont de Gênes, plus exactement le viaduc autoroutier franchissant la rivière Polcevera, inauguré en 1967, porte la signature distinctive de Morandi, avec ses chevalets encastrés dans des piles en V et ses tabliers en cantilever soutenus par quatre tirants de faisceaux de câbles noyés dans une gaine de béton.
L'œuvre d'un maître
Dès le lendemain de la catastrophe, le Génois Renzo Piano offrait à sa ville la conception d’un nouveau pont qui, lui, serait en acier (ce qui serait aussi le moyen de faire travailler les chantiers navals Fincantieri). Oublié le béton, changement d’époque et de matériau. L’enquête est aujourd’hui entre les mains de la justice, tandis que les médias ont reproché au gestionnaire d’avoir considéré les autoroutes comme un tiroir-caisse et négligé l’entretien des ouvrages d’art. Le système des bras en béton précontraint était-il une erreur de conception originelle, comme l’ont prétendu certains? Cyrille Simonnet penche davantage pour l’hypothèse de la corrosion des fers faute de maintenance. Dans son livre érudit et documenté, il plaide pour la reconnaissance de l’œuvre d’un maître qui, selon le grand historien de l’architecture Bruno Zevi, "avait le goût du risque et de l’anormalité".
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Morandi à Gênes, Autopsie d’un pont, Cyrille Simonnet. Editions Parenthèses, collection Architectures, 2019, 128 p., 19?€.