"Des doctorant.e.s payé.e.s sous le SMIC !", lettre ouverte des doctorant.e.s en architecture
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Les doctorantes et doctorants des écoles nationales supérieures d'architecture se rassemblent pour dénoncer, dans une lettre ouverte à signer, la précarité de leurs conditions de travail, et le sous-investissement de l'État en faveur de la production de connaissance dans le domaine. Elles et ils emboîtent ainsi le pas des directrices et directeurs de ces établissements, qui appelaient en décembre 2022 à un investissement massif dans la formation des architectes.
Des doctorant.e.s payé.e.s sous le SMIC ! - Lettre ouverte des doctorant.e.s en architecture aux ministères de tutelle
Le 8 février 2023,
Madame la ministre de la Culture,
Madame la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche,
Monsieur le sous-directeur de l’enseignement supérieur et de la recherche en architecture,
Madame la cheffe du bureau de la recherche architecturale, urbaine et paysagère,
Nous, doctorant·e·s des écoles d’architecture, souhaitons vous alerter sur nos conditions de travail actuelles et, plus largement, sur un ensemble d’évolutions majeures que subissent nos établissements d’enseignement supérieur et de recherche. L’ensemble des constats et des revendications que nous présentons dans cette lettre n’est pas nouveau puisque, depuis la réforme de 2018, nos prédécesseurs n’ont cessé d’exprimer leurs inquiétudes et leurs demandes (1).
1. Des contrats doctoraux en nombre insuffisant
Le manque de contrats doctoraux (2) entraîne une précarisation d’une grande partie des doctorant·e·s en ENSA. Nombre d’entre nous sont contraint·e·s d’exercer des activités professionnelles en parallèle de leur thèse, contraignant la réalisation des recherches.
Ce que nous revendiquons :
Une augmentation drastique du nombre de contrats doctoraux alloués chaque année par le ministère de la Culture. Posséder un contrat doctoral pour débuter dans le monde de la recherche ne doit plus être un “privilège”, mais un statut généralisé.
2. Une rémunération insuffisante des contrats doctoraux
La rémunération de nos contrats doctoraux, fixée en février 2013 (3), n’a bénéficié d’aucune revalorisation depuis cette date, alors que l’inflation, elle, a progressé d’environ 18 %. Par conséquent, notre rémunération minimale (1663,22€ bruts) se situe aujourd’hui en dessous du SMIC (1709,28€ bruts) et du seuil minimal de rémunération de la fonction publique (1712,06€ bruts). De plus, l’absence d’indexation de nos rémunérations sur le point d’indice de la fonction publique nous précarise face à l’inflation, qui a explosé en 2022 (4).
La réforme de 2018 a placé les ENSA sous la double tutelle du ministère de la Culture et de celui de l’Enseignement supérieur et de la recherche. Depuis cette date, rien ne justifie la différence de traitement entre les doctorant·e·s en architecture et les autres doctorant·e·s. Pourtant, l’alignement entre les deux types de contrats n’a jamais été effectué.
Plus récemment, l’arrêté du 26 décembre 2022 (5) était censé revaloriser la rémunération minimale de tous les contrats doctoraux au niveau national (2044,12€ bruts au 1er janvier 2023), et ceci avec une progression étalée jusqu’en 2026 (cf. tableau).
Or, malgré l’entrée en vigueur de cet arrêté au début de l’année, le ministère de la Culture prétend ne pas pouvoir appliquer cette revalorisation et compte maintenir la différence de traitement avec les doctorant·e·s du MESRI, malgré son caractère illégal et parfaitement injustifié (6).
Ce que nous revendiquons :
Un alignement, immédiat et rétroactif, de tous les contrats doctoraux en cours financés par le ministère de la Culture sur ceux du MESRI.
Une revalorisation de l’ensemble des contrats doctoraux, conforme aux qualifications requises pour s'inscrire en doctorat (bac +5 minimum).
L’indexation de nos rémunérations sur le point d’indice des agents de la fonction publique.
3. Des heures d’enseignement non valorisées et mal encadrées
Lorsque nos contrats comportent une mission d’enseignement, le nombre d’heures d’enseignement que nous devons effectuer varie de 106h à 267h EQTD suivant les ENSA, à rémunération égale. Cette durée est supérieure à celle prévue par les contrats du MESRI (64h), en raison d’une interprétation faussée des différents décrets. En outre, le nombre d'heures que nous effectuons réellement est bien souvent supérieur aux 106 heures prévues (7). Or, toutes ces heures supplémentaires font rarement l’objet d’un contrat et ne sont presque jamais rémunérées.
Ce que nous revendiquons :
Un alignement des heures d’enseignement prévues dans nos contrats sur celles des contrats doctoraux du MESRI (64 heures annuelles EQTD).
4. Une absence de perspective pour l’insertion professionnelle
En raison de l’inflation des heures d’enseignement (évoquée précédemment) et des activités annexes (organisation et participation à des séminaires, colloques et programmes de recherche, rédaction d'articles, formations obligatoires, etc.), la durée réelle d’une thèse dépasse très souvent les 3 ans et atteint 4,5 ans en moyenne. Par conséquent, après la fin du contrat doctoral, la grande majorité d’entre nous se retrouve dans une situation extrêmement précaire.
En plus de cette précarité, les perspectives de poursuite de carrière dans les ENSA après la thèse sont très largement insuffisantes. Le nombre de postes d’enseignants ouverts chaque année dans les ENSA est en-deçà des besoins réels (8). Il n’existe pas non plus de statut d’ATER (attaché temporaire d’enseignement et de recherche) en ENSA qui permet aux jeunes docteur·e·s de participer activement à la vie pédagogique des écoles et de préparer leur avenir professionnel.
Outre ces problèmes des débouchés professionnels dans les ENSA, les heures d’enseignement effectuées dans le cadre du contrat doctoral ne sont pas prises en compte lors des qualifications du CNECEA et lors de l’avancement de carrière. Contrairement à l’Université, le doctorat en architecture n’est donc pas considéré comme une expérience professionnelle à part entière.
Ce que nous revendiquons :
La création de dispositifs permettant de financer une ou plusieurs années supplémentaires de thèse.
La création d’un statut d’ATER en ENSA pour faciliter l’insertion professionnelle des docteur·e·s.
L’augmentation du nombre de postes d’enseignants-chercheurs ouverts chaque année dans les ENSA.
La reconnaissance des heures d’enseignement effectuées pendant la thèse lors du processus de qualification du CNECEA et lors de l’avancement de carrière.
5. Des moyens alloués aux ENSA insuffisants
Le manque de moyens financiers, humains et matériels alloués aux ENSA, maintes fois rappelé ces dernières années (9), pousse l’ensemble des agents de nos établissements à l’épuisement. Les créations de postes sont insuffisantes, les congés et les départs en retraite ne sont pas compensés, les locaux sont dégradés et sous-équipés, etc.
Le budget moyen attribué à chaque étudiant·e en architecture (7500 euros par an) est très nettement inférieur à celui des autres étudiant·e·s de l’enseignement supérieur (10). Dans ces conditions, les étudiant·e·s ne disposent pas des services, des ressources et du cadre de travail nécessaires au bon déroulement de leurs études. Bien souvent, le matériel et les services indispensables à leur travail sont à leur charge.
Ce que nous revendiquons :
Une revalorisation générale et substantielle des moyens alloués aux ENSA, en concertation avec l’ensemble de leurs représentants (enseignant·e·s, étudiant·e·s, doctorant·e·s, personnel administratif, etc.)
Aujourd’hui, la voie doctorale offre un avenir très incertain et décourage de nombreuses personnes désireuses de travailler dans la recherche et l’enseignement supérieur (11). Sans action immédiate de votre part, vous prenez le risque de gâcher des investissements en temps et en moyens dans nos formations et de prendre ainsi un retard considérable vis-à-vis de la recherche internationale.
Nous, doctorant·e·s, refusons de subir les conséquences de la politique d’austérité imposée par les ministères de tutelle. Nous sommes des forces indispensables dans les unités de recherche et dans l’enseignement des ENSA. Par nos travaux et nos enseignements, nous produisons des connaissances fondamentales pour répondre aux défis sociaux et environnementaux d’aujourd’hui et de demain. Nous revendiquons des conditions de travail décentes afin de maintenir et de faire progresser la qualité de nos enseignements et de nos recherches.
Nous attendons donc la mise en place de ces mesures urgentes et restons mobilisé·e·s tant que des solutions acceptables et pérennes n’auront pas été trouvées.
Veuillez croire, Mesdames, Monsieur, à notre engagement pour un service public d'enseignement supérieur et de recherche ouvert, créatif et respectueux de l’avenir de l'architecture, de la ville et des territoires.
Les doctorant·e·s des ENSA
Notes : (1) Pour une meilleure insertion des doctorant-e-s et jeunes docteur-e-s au sein des ENSA(P) , 2018 Lettre ouverte des doctorants et jeunes docteurs des ENSA, 22 février 2020. (2) Depuis ces dix dernières années, le ministère de la Culture a attribué en moyenne 10 contrats doctoraux par an aux ENSA, ce qui revient à 1 contrat pour 2 écoles d’architecture. (3) Arrêté du 7 février 2013 fixant le montant de la rémunération du doctorant contractuel des écoles nationales supérieures d'architecture. (4) https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000046026212. (5) Arrêté du 26 décembre 2022, fixant la rémunération minimale des doctorants contractuels. (6) Mail envoyé aux administrations des ENSA par le BRAUP (ministère de la Culture) le 13 janvier 2023. (7) Le dépassement des 106 heures annuelles d’enseignement est dû notamment aux temps de préparation des cours et des TD, de correction de copies, de relecture de mémoires, d’évaluation, de participation aux réunions pédagogiques et aux jurys, etc. (8) Lettre des présidents des conseils d'Administration et des directeurs des Ecoles Nationales Supérieures d'Architecture à M. Franck Riester, ministre de la Culture, 13 décembre 2019. « Nous, directeurs d’école d’architecture, appelons à un investissement massif dans l’enseignement de l’architecture afin de former les futurs acteurs de la transition », Le Monde, 2 décembre 2022. (9) Cf. lettres ouvertes de 2019, 2020 et 2022. Cf. également le rapport IGAC / IGESR Les conditions de l’enseignement et le déroulement de la formation dans les écoles nationales supérieures d’architecture, 2022. (10) Pour rappel, les budgets annuels s’élèvent à 9300€/an pour un lycéen, environ 10000€/an pour un étudiant de l'Université ou encore 15600€/an pour un étudiant d'école d'ingénieur. Au sein du ministère de la Culture, la moyenne du financement des différentes formations est de 14880€/an. (11) Le nombre d’inscrits en cursus doctoral baisse chaque année en France. Voir : https://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/2021/74/7/NF2021.10-_Universites.num_1410747.pdf
Rémunération mensuelle en euros bruts (© Le Collectif des doctorant.e.s en École d'architecture)
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PhJ
Le 09/02/2023 à 16h59Merci de rédiger le même texte en éliminant cette détestable écriture illisible et imprononçable. De plus, Elle exclut de la lecture tous les apprenants de notre langue : enfants, étrangers, dyslexiques, etc.