Équerre d'argent 2017: Renzo Piano, le plus parisien des architectes italiens
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Équerre d'argent 1991 / Renzo Piano – 220 logements – Paris XIX
Tout juste auréolé de l’Equerre d’argent 2017, le nouveau tribunal de Paris, conçu par Renzo Piano Building Workshop, est la deuxième réalisation de l’atelier parisien de Renzo Piano à recevoir ce prix. Après les logements de la rue de Meaux (XIXe arr.) sacrés en 1991, la distinction du tribunal actualise l’histoire d’amour que tisse, depuis 1971 et le concours pour la construction du centre Pompidou, le starchitecte avec la capitale, à coup d’opérations à chaque fois manifestes.
Alors que Beaubourg, sa première réalisation parisienne conçue avec Richard Rogers, fête ses 40 ans, la nouvelle livraison de Renzo Piano, le tribunal de Paris, hissé en bordure du boulevard des Maréchaux dans le XVIIe arrondissement, vient de recevoir l’Equerre d’argent 2017. Renzo Piano est, sans conteste, le plus parisien des architectes italiens. Dans le IVe arrondissement, l’incroyable atelier maquette, vitrine de Renzo Piano Building Workshop (RPBW), l’agence locale qu'il a créé en 2000 dans la capitale, est une attraction bien connue des habitants de la rue des Archives. Et une étape immanquable du Renzo tour parisien. La caverne d’Ali Baba pour menuisiers et les bureaux de la porte d’à côté sont animés par l'architecte associé Bernard Plattner, qui a conduit le projet du tribunal de Paris. Aux côtés du maître italien depuis ses débuts, le Suisse a "appris son métier sur le chantier de Beaubourg", tout simplement.
Happy few
En recevant le prix de l’Equerre d’argent 2017, qui récompense le meilleur bâtiment ou ouvrage d’art livré sur le territoire français au cours de l’année écoulée, Renzo Piano rejoint la liste des happy few ayant reçu cette récompense à deux reprises (Jean Nouvel, Henri Gaudin et Yves Lion). C'était déjà pour une opération parisienne que le prix avait été remis à la starchitecte mondialisée, en 1991. A l’époque, les 220 logements construits rue de Meaux (XIXe arrondissement) pour la RIVP, autour de l’apaisant jardin de bouleaux et de chèvrefeuilles signé Michel Desvigne, forcent l’admiration. Egalement suivi par Bernard Plattner, le projet casse les codes de la compacité haussmannienne en ménageant une intériorité privilégiée au cœur de l’agitation et de la densité faubourienne. Les habitations traversantes sont baignées de lumière naturelle. Preuve que, s’il accepte de se prêter au jeu, Renzo Piano sait faire aussi bien pour un programme de logements sociaux que pour des projets culturels de grande envergure.
Terre cuite, verre et acier
Après la tour de l’Ircam inaugurée en 1990 dans le IVe arrondissement, extension aérienne de l’équipement souterrain conçu avec Richard Rogers en 1978 au pied de la machine Beaubourg, l’opération de la rue de Meaux marque la dernière utilisation de la terre cuite dans Paris par Piano. Le matériau signature habillera malgré tout la gigantesque cité internationale de Lyon, livrée en 1999, et bientôt l’université de Picardie Jules-Verne, en chantier dans la citadelle d’Amiens.
C’est auréolé de la plus haute distinction dans le monde de l’architecture, le prix Pritzker (1998), que Renzo Piano et RPBW s’exportent en Haute-Saône. Au pied du plus célèbre des édifices religieux du Corbu, la chapelle de Ronchamp, les architectes étirent un couvent de verre, d’acier et de béton pour héberger les sœurs clarisses, projet distingué par un prix spécial au palmarès de l'Equerre d'argent 2012. L’épure des lieux est propice à la méditation. Entièrement vitrée, la façade des cellules rappelle celle de l’atelier maquette parisien. C’est par et pour la maîtrise d’ouvrage privée que Piano revient à Paris. Alors qu’il nous avait habitués aux volumes orthogonaux parfaitement réglés, RPBW livre, en 2014, un drôle d’œuf semblant léviter dans un cœur d’îlot du XIIIe arrondissement. C’est le siège de la fondation Seydoux-Pathé, soit cinq étages coiffés d’une coque en verre recouverte de 7000 volets métalliques. L’architecture high-tech renouvelle son vocabulaire formel, assume l'inspiration organique, et RPBW démontre, encore une fois, toute la poésie qui peut émaner de la technique, à condition de la soigner, architectes et ingénieurs travaillant main dans la main.
Attrape-ciel
Au moment où la fondation Seydoux-Pathé ouvre ses portes, le grand projet du tribunal de Paris est déjà bien avancé. Le contrat de partenariat public-privé est signé avec Bouygues Bâtiment Ile-de-France en 2012, et les équipes de Bernard Plattner planchent sur le chantier qui démarre à l'été 2014. Les travaux ont tenu les Parisiens en haleine jusqu’à la fin de 2017: ils ont vu se monter un immeuble trompe-l’œil, dont la façade "attrape-ciel" évoque le Shard londonien. Finie la matérialité opaque des bardeaux de terre cuite, place à la dématérialisation d’un verre au réfléchissement attentivement calibré. Lame de verre côté pile, barre déstructurée côté face, la tour de 160 m de haut conçue par RPBW n’en est pas vraiment une. C’est une ville verticale, où se superposent quatre îlots haussmanniens avec jardins. Pas de vertige à l’intérieur, ni de rejet pour les observateurs. Voire, déjà, un projet qui fait école, tant la future tour Montparnasse semble en être inspirée.
La force d’une grande agence se lit sûrement dans sa capacité à se réinventer sans en faire un étalage marketing, à innover à chaque commande et pour chaque programme tout en maîtrisant ses fondamentaux. Chez RPBW, l'attention à toutes les échelles du projet et l'exigence dans l’exécution sont permanentes. Pour Piano, c’est une affaire de constance, quelle que soit l’envergure du projet. En témoigne, la livraison, quasi concomitante à celle des 120000 m2 du tribunal, du petit pavillon de photographie du château La Coste (Bouches-du-Rhône). Du cœur historique aux faubourgs populaires jusqu’à la périphérie de la ville et l’appel des territoires outre-périphérique, suivre la production parisienne de Piano, c’est prendre le pouls de l’évolution de la capitale. Beaubourg est, aujourd’hui encore, le meilleur belvédère sur la ville historique. Le tribunal est un balcon sur le Grand Paris. Le campus de l’ENS Cachan, en chantier sur le plateau de Saclay, marquera-t-il autant la dimension métropolitaine du territoire francilien?