"Expert en réemploi, une nouvelle mission pour les architectes", par Julie Benoit, association Bellastock*
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Invitée par la ville de l’Île-Saint-Denis (93) à participer au chantier d’un futur écoquartier, l’association Bellastock développe une filière de réemploi in situ pour valoriser les vestiges industriels du lieu dans le projet de construction.
Depuis 2008, l’Union européenne engage ses Etats membres à plus de contrôle des déchets, de leur production à leur élimination, en mettant l’accent sur leur recyclage. Parmi les objectifs fixés pour 2020 : la valorisation de 70 % de ceux issus du BTP*. En France, il est difficile de considérer autrement que comme un déchet la matière déconstruite, d’en assurer la traçabilité et de la certifier pour une seconde vie. Malgré tout, des expériences se développent à la demande des maîtres d’ouvrage. Car dans le secteur du bâtiment, le réemploi – préserver certains éléments d’un bâti obsolète pour les réutiliser autrement – exige l’anticipation du maître d’ouvrage et l’affichage clair d’une volonté de conservation de la matière avant toute consultation des entreprises.
ACTlab, Bellastock, Île-Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). L'atelier de réemploi au début de sa construction en 2013. © Alexis Leclercq
Invités, par la Ville de l’Ile-Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), Plaine Commune et la SEM Plaine Commune Développement, à participer au chantier d’un futur écoquartier fluvial, nous développons depuis 2013 une filière de réemploi in situ pour valoriser les vestiges industriels du site : les anciens entrepôts de stockage du Printemps. En tant qu’assistant à la maîtrise d’ouvrage, nous devons rendre opérationnels certains points de la charte encadrant la mutation écologique du site, notamment le réemploi in situ, en proposant plusieurs prototypes de mobiliers urbains et de systèmes constructifs. En tant qu’expert du réemploi, nous nous situons au point charnière entre la déconstruction – le gisement de matière – et le projet d’écoquartier, l’aval de la filière. Implanté au cœur du site, notre laboratoire, l’ACTlab, est composé d’un atelier et de 700 m² d’espace d’exposition extérieur. Il est également surplombé d’une passerelle permettant d’observer l’ensemble du site en transition. Construit à partir du bois, du béton et du métal des anciens entrepôts, ce projet processus s’adapte aux évolutions du chantier et gère les stocks de matière issus de la déconstruction des hangars pour anticiper les besoins des espaces publics du futur écoquartier. C’est le versant opérationnel de notre recherche REPAR, soutenue par l’Ademe et Plaine Commune, qui envisage la réutilisation comme un lien entre architecture et industrie, et considère le projet d’architecture comme le débouché réaliste d’une filière de réemploi de matériaux.
ACTlab, Bellastock, Ile-Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Flux métal : réemploi d'éléments standardisés pour la mise en œuvre d'une passerelle. 1. Dépose sélective 2. Stockage et préparation au réemploi 3. Prototypage à l’ACTlab 4. Projet de mise en œuvre dans l’écoquartier fluvial de l’Ile-Saint-Denis. © Bellastock
Le montage d’une filière de réemploi in situ impose une grande concertation entre les commanditaires, les prescripteurs et les opérateurs des chantiers. Et il appartient à l’expert du réemploi de rendre sélective la déconstruction d’un bâtiment pour initier cette filière. Confiée à un architecte, une telle mission est l’occasion d’actualiser ses outils pour aller vers plus de dialogue et d’expertise (inventaire des matériaux, fiche de lots de maîtrise d’œuvre, fiches d’autocontrôles, etc.). Ainsi doit s’enclencher le scénario du réemploi : d’abord les diagnostics synchronisés du gisement et du projet pour savoir quelle matière écouler, ensuite la collecte et l’acheminement de la matière vers des ateliers sur site, le stockage et la préparation (élémentarisation, standardisation, restauration), le prototypage puis la mise en œuvre du réemploi dans le projet, et enfin la certification et les formations à l’exploitation et à la maintenance de produits "réemploi". Un tel scénario possède autant de variables qu’il y a de flux de matière. Le déroulé du chantier dicte la collecte d’un flux, celle-ci conditionne la valorisation de la matière qui, à son tour, flèche le prototypage. Ces mouvements doivent être cartographiés pour faciliter la planification des flux et la gestion des stocks au cœur du chantier.
Démonstration sans surcoût
Le gisement de matière découle de la typologie du chantier. A l’Ile-Saint-Denis, outre les opportunités offertes par la réhabilitation d’opérations de logements (collecte des fenêtres déposées) et la réalisation d’ouvrages neufs (chutes des coffrages bois), les deux principaux flux issus de la démolition des entrepôts étaient le béton et le métal. En symbiose avec le chantier de déconstruction, il a été possible de collecter le béton au moment de l’abattage, du broyage ou du concassage. Les morceaux de poutres ont été détournés au broyage et remis en œuvre en assemblage sec pour constituer des murs ou des revêtements de sol. Sur les 70 000 tonnes de béton que comportait l’ouvrage, 500 tonnes environ ont pu être récupérées. C’est peu, mais cette démonstration sans surcoût rend envisageable la reproduction de l’expérience sur de nouveaux gisements. Pour le métal, la collecte se fait manuellement durant l’étape de curage, permettant ainsi de former des équipes en insertion et de limiter le surcoût au-delà du prix de la ferraille. Si la valorisation de la matière et l’expertise réemploi ont un coût, ces dépenses seront compensées à l’échelle du bilan économique de l’écoquartier en économisant sur la fourniture de matière et en proposant des solutions techniques "clefs en main" pour l’espace public.
ACTlab, Bellastock, Ile-Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Flux béton : réemploi de morceaux de poutres pour la mise en œuvre d'un revêtement de sol. 1. Abattage 2. Tri des éléments sélectionnés 3. Prébroyage et préparation au réemploi 4. Prototypage à l’ACTlab 5. Projet de mise en œuvre dans l’écoquartier fluvial de l’Ile-Saint-Denis. © Bellastock
Restaurer et écouler la matière prend du temps et de la place, mais une filière de réemploi in situ peut profiter des moyens dont dispose l’aménageur dans le cadre de la construction d’une ZAC. Si les conséquences positives d’une telle démarche sont quantifiables sur l’environnement (économie de matière première non renouvelable, gain en énergie grise, diminution du bilan carbone du chantier), elles le sont moins sur le rapport social entretenu avec le projet d’aménagement. Pourtant, la filière de réemploi in situ participe au changement de regard porté sur un site, grâce à l’ouverture culturelle du chantier et à la conservation de certaines traces de l’histoire locale. Enfin, elle développe deux types de compétences : la première en amont de la filière pour les architectes, en tant qu’AMO-experts réemploi ouverts à plus de dialogue avec les entreprises ; la deuxième pour l’exécution de la filière, sous la forme de métiers de collecteurs et de valorisateurs de matière. Emplois à forte densité de main-d’œuvre et non délocalisables, ces derniers favorisent l’insertion et peuvent être portées par des structures associatives, telles que Les Bâtisseurs d’Emmaüs. En cela, la filière réemploi entre dans le cadre de l’économie sociale et solidaire.
* Bellastock est une association composée principalement d’architectes et d’étudiants en architecture qui travaillent sur les cycles de la matière. Elle organise chaque année un workshop avec 1 000 participants pour concevoir, construire et habiter une ville éphémère en matériaux de récupération. En 2012, le festival nommé "Le Grand Détournement" s’installe sur l’Ile-Saint-Denis, dans la friche des entrepôts du Printemps. Il constituera le préambule à l’ouverture du laboratoire ACTlab. actlab.tumblr.com
** Diverses initiatives émergent, en Belgique notamment : soutenus par les institutions publiques, les architectes de Rotor ont créé des plateformes en ligne de repérage et de vente de matériaux de seconde vie.