Gilles Davoine, rédacteur en chef d'AMC : "Insérer, disent-ils..."
Le 5 janvier 2015, la cour administrative d’appel de Paris annulait le permis de construire accordé au groupe LVMH pour restructurer l’ancien magasin de la Samaritaine à Paris. Motif invoqué par les juges : la nouvelle façade sur la rue de Rivoli, dessinée par les architectes de l’agence japonaise Sanaa, «ne répond pas à l’obligation d’insertion dans le tissu urbain environnant prescrite par le plan local d’urbanisme». La formulation a de quoi surprendre, quand on sait à quel point le mot «insertion dans le tissu urbain» est une vraie tarte à la crème en architecture, à quel point il peut être galvaudé, et qu’il porte en soi une incitation non formulée au mimétisme architectural le plus plat. Dans un premier jugement, le 13 mai 2014, le tribunal administratif avait déjà rendu un verdict semblable, qualifiant de «dissonante» ladite façade, au regard des bâtiments voisins, véritables «prototype architectural» du Paris haussmannien, selon la commission du Vieux Paris (cf le n°234 d'AMC, juin-juillet 2014). Que faut-il donc faire, rue de Rivoli, pour être «inséré dans le tissu urbain environnant» et éviter la «dissonance» ? On pressent que dans la tête des juges –et dans celle des membres de la Commission du Vieux Paris– la réponse est: une façade en pierre de taille.
Que proposent donc de si scandaleux ces architectes bien connus pour leur excentricité (!) que sont Sejima et Nishizawa, le fameux duo fou de Sanaa ? Une façade en verre sérigraphié orientée au nord, qui ondule sagement et régulièrement, en respectant les alignements et les gabarits autorisés, notamment une hauteur de 25 m. La belle affaire ! On mesure à l’aune de ce jugement à quel point un plan local d’urbanisme –et surtout l’interprétation qu’on en fait– peut figer une ville dans un carcan vieux d’un siècle et demi. Et à quel point, en la matière, la régression est importante. À ce titre, dans les années 1970, le Centre Pompidou, bien peu «inséré» au tissu urbain du Marais n’aurait jamais vu le jour. Ni d’ailleurs la Samaritaine elle-même, avec la façade de verre et de métal de Frantz Jourdain des années 1910 ou la façade Art Déco dessinée par Henri Sauvage dans les années 1920, alors bien peu «insérée» aux façades historiques des quais de Seine.