Heidegger expliqué aux architectes - Livre
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Comme de coutume, ce sont les Anglais qui avaient tiré les premiers, avec la publication, en 2007, d’un Heidegger for Architects par Adam Sharr (un Gallois, en réalité). Ce dernier constatait déjà que Heidegger était le philosophe le plus cité par les architectes et les étudiants, mais pas le mieux lu ni le mieux compris. La situation était identique de ce côté-ci de la Manche. Le défi étant de taille, il a fallu attendre la bravoure de Céline Bonicco-Donato, philosophe et enseignante à l’école d’architecture de Grenoble, pour qu’une lecture didactique du reclus de la Forêt noire soit enfin proposée aux architectes français.
Dans son fameux essai Bâtir, habiter, penser (1951), Heidegger ne se livrait pas à une pensée de philosophe détachée des contingences, il réagissait à la reconstruction de l’Allemagne après-guerre. Céline Bonicco-Donato restitue, dans son livre, le cheminement qui a conduit le phénoménologue à révolutionner la définition commune du lieu et de l’espace: ce n’est pas le lieu qui fait exister le bâtiment, c’est le bâtiment qui permet au lieu de survenir, non pas en le révélant mais en permettant au monde de se concrétiser. Habiter, ce n’est donc pas simplement s’approprier un lieu, c’est être au monde, s’ouvrir au monde, nouer une relation avec lui. L’habiter implique tout notre être dans notre passage sur terre et pas seulement dans notre habitation.
Des architectes heideggériens
S’adressant aux architectes, Céline Bonicco-Donato appuie son propos sur trois œuvres, témoignant de la capacité d’apparition d’une atmosphäre (notion proche de celle d’ambiance, utilisée dans le centre de recherche sur l’espace sonore et l’environnement urbain, laboratoire de l’école d’architecture de Grenoble): la villa Mairea d’Alvar Aalto, la Maison sur la cascade de Frank Lloyd Wright et les thermes de Vals de Peter Zumthor. Le plus heideggérien des trois est assurément Zumthor, qui le revendique dans son discours et le prouve dans sa pratique – tous ceux qui ont fait la fabuleuse expérience des thermes de Vals le confirmeront. Le Corbusier aurait pu figurer parmi ces piliers heideggériens, ce vrai-faux apôtre du fonctionnalisme, qui, contrairement aux trois autres, s’est confronté à la question du logement de masse et dont les unités d’habitation, en tout cas celle de Marseille, proposaient un récit perceptif – il est vrai que Heidegger ayant été indifférent à la chapelle de Ronchamp, on peut se demander ce qu’il aurait pensé des thermes de Vals… Ce livre exigeant, mais passionnant grâce à son écriture enlevée, donne un nouveau sens à la pensée de Heidegger aujourd’hui, lorsque l’avenir de la planète oblige à réviser la place que l’homme y occupe et la manière dont il y construit. Céline Bonicco-Donato signe là l’un des plus beaux titres de la collection Eupalinos, que l’on sait être la préférée des étudiants en architecture.
- Heidegger et la question de l’habiter. Une philosophie de l’architecture, Céline Bonicco-Donato. Editions Parenthèses, coll. Eupalinos/A+U, 2019, 205 p., 18 €.