Indispensable Le Corbusier
- Hubert Lempereur
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Cinquantenaire de la mort de Le Corbusier oblige, 2015 a été riche en événements : une troisième candidature à l’Unesco, un flot de publications, ainsi que l’aboutissement de chantiers de restauration.
Déjà, le centenaire de sa naissance avait été le théâtre d’une telle pléthore et l’occasion d’une réhabilitation quasi sans conditions du maître tant bafoué. En 1987, l’exposition du Centre Pompidou orchestrée par Jean-Louis Cohen et son catalogue dirigé par Jacques Lucan témoignait d’une tentative d’approche détaillée et rigoureuse de l’activité plurielle de l’architecte. Néanmoins, leur découpage encyclopédique pouvait concourir à partitionner sa production en phases étanches et à isoler l’homme de son œuvre. L’on risquait ainsi de ne pas saisir les complexes articulations entre ses écrits et ses projets et de minimiser les ressorts de ses conceptions politiques douteuses ou de sa sociabilité intense. La même année, « Le Corbusier et la mystique de l’URSS », toujours de Cohen, relevait d’une approche qui, pour être explicitement politique, prenait le même risque de la discontinuité.
En 2005, quarantenaire de sa mort, Cohen avait fait le choix contraire d’un regard global sur les fascinantes contradictions corbuséennes. Au sortir d’un livre de synthèse chez Taschen, « Le Corbusier, un lyrisme pour l’architecture de l’ère mécaniste », il s’était attaché à un « essai biographique illustré » : « Le Corbusier : la planète comme chantier ». Dans une forme ramassée, il parvenait à réunir non seulement une évocation de l’œuvre, mais aussi la chronologie des voyages et la vie sociale, intellectuelle et amoureuse ô combien tortueuse du personnage. S’y dévoilait la cohérence de ses faits et gestes, dont le trait commun est une réaction incessante aux évolutions politiques, artistiques et techniques du siècle. Même Marc Perelman, contempteur acide des accointances du Corbu avec les formes extrêmes du pouvoir, en convenait : ce petit livre jaune faisait exception car, bien que « people » et « opportuniste », il permettait enfin « d’apprécier le bonhomme et son architecture ».
C’est ce livre indispensable que réédite Textuel. Il a subi quelques corrections sans perdre de sa fraîcheur, et, tout en évitant un encombrant appareil de notes, il a été enrichi d’une rubrique sur les sources de ses nombreuses citations, qui lui faisait défaut. Mais surtout, à dix ans d’intervalle, les considérations de Cohen entrent singulièrement en résonance avec son récent « Architecture en uniforme : projeter et construire pour la Seconde Guerre mondiale » (2011) ou avec son passage à Venise en 2014 où, de concert avec les « fondamentaux » de Koolhaas, il posait la question : « La modernité en France : promesse ou menace ».
- Le Corbusier, la planète comme chantier, Jean-Louis Cohen.
- Textuel, 2015, 240 p., 35 €.