Jack Lang: «Notre ambition était que l’art et la culture occupent l’une des toutes premières places dans la société»
- Gilles Davoine
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Il y a trente ans, en 1989, étaient inaugurés la Pyramide du Louvre, l’opéra Bastille, la Grande Arche de La Défense et le ministère des Finances à Bercy, les tout premiers "grands projets" parisiens de Mitterrand parmi la dizaine qui allaient donner une impulsion nouvelle à l’architecture française. Retour sur cette période dans AMC n°282-novembre 2019, avec une interview de Jack Lang, aujourd’hui président de l’Institut du monde arabe, ancien ministre de la Culture de 1981 à 1986 puis de 1988 à 1993, et acteur central des décisions et des arbitrages qui présidèrent à l’édification de bâtiments devenus emblématiques du paysage urbain de la capitale.
AMC: Quel était votre diagnostic en matière d’institutions culturelles à Paris et en France à votre arrivée au ministère de la Culture?
Jack Lang: A vrai dire, le manque était général. La situation culturelle était d’une grande pauvreté, à l’exception de certains orchestres, de certaines villes comme Grenoble, Lille, Marseille ou Strasbourg. Un chantier immense nous attendait dans presque tous les domaines culturels, des arts plastiques au théâtre, en passant par les musées et les bibliothèques, qui étaient dans un dénuement total. Même Paris était dans un état de relatif abandon, en comparaison de New York, Londres ou Berlin. Le musée du Louvre ou la Bibliothèque nationale, par exemple, étaient dans un état de décrépitude avancée: des salles ne pouvaient ouvrir au public qu’une demi-journée par semaine, l’eau coulait à travers les collections… L’opéra Garnier craquait de toutes parts, il y avait très peu de représentations possibles dans l’année.
Comment le programme des grands travaux lancés dès 1981 par François Mitterrand est-il né?
L’expression "grands travaux" que l’on utilise aujourd’hui est trompeuse. Notre ambition à l’époque était autre. Il ne s’agissait pas de construire pour construire mais d’engager une politique des arts et de la culture complètement nouvelle, qui s’appliquait à l’ensemble du pays. Cette politique avait été exposée pendant la campagne présidentielle dans un discours de François Mitterrand datant de mars 1981, prononcé lors d’une conférence internationale de la culture que j’avais organisée, dans le grand amphithéâtre de l’Unesco. Ce texte distinguait bien deux aspects: d’une part, "les?institutions nationales de référence", d’autre part, "la transformation de la politique culturelle pour l’ensemble du pays". Il n’était pas encore question de "grands travaux", pas même pour le Louvre. Mais il y avait déjà l’idée de regrouper à la Villette toute une série d’institutions musicales, que l’on appelait alors "Beaubourg de la musique".
Par quoi avez-vous commencé?
Lorsque François Mitterrand a remporté l’élection présidentielle et que je suis devenu ministre de la Culture, la première proposition que je lui ai faite a concerné l’Institut du monde arabe [IMA], dont la création avait été décidée sous le septennat précédent. L’IMA devait se construire initialement dans le XVe arrondissement, un projet d’Henry Bernard, avec une architecture néoarabe qui ne nous emballait pas. On pensait qu’il fallait quelque chose de plus contemporain. François Mitterrand m’a dit: "Si l’on veut changer d’architecte, il faut changer de terrain." On a trouvé un emplacement libre dans le Ve arrondissement, en bord de Seine, face à Jussieu et pas très loin de la Grande Mosquée. Les pays arabes ont d’abord été très réticents: ils pensaient qu’on voulait enterrer le projet, alors qu’au contraire, on voulait lui donner davantage d’ampleur. D’ailleurs, au financement des pays arabes et du ministère des Affaires étrangères, j’ai ajouté une contribution importante du ministère de la Culture. A la fin de l’année 1981, nous avons organisé un concours avec de jeunes architectes, qui a été remporté par une équipe de quasi-inconnus, Jean Nouvel et Architecture Studio.
Qui pilotait l’ensemble de ces grands projets ?
Il y avait un petit groupe de coordination des grands projets qui se réunissait tous les deux mois. On l’avait appelé "le groupe des quatre", avec Robert Lion, directeur de cabinet du Premier ministre Pierre Mauroy, qui assurait le lien avec les Finances, Roger Quillot, ministre de l’Equipement, Paul Guimard, conseiller personnel de Mitterrand pour la culture, et moi-même. J’avais aussi auprès de moi au ministère, Christian Dupavillon, un homme remarquable qui était d’ailleurs architecte. On établissait les programmes des concours, les propositions de composition des jurys, le suivi des opérations. C’était un travail monumental!
Propos recueillis par Gilles Davoine