Japon, un art d'habiter

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© CNRS Editions - Façons d'habiter du Japon. Maisons, villes et seuils, Philippe Bonnin, Jacques Pezeu-Massabuau

Visiter une maison japonaise est la plus sûre introduction à la société nippone, ce que révèlent deux recueils savamment entremêlés, de l’architecte anthropologue Philippe Bonnin et de l’historien géographe Philippe Jacques Pezeu-Massabuau.

Le premier s’était déjà fait remarquer avec son Vocabulaire de la spatialité japonaise, dont les 199 courts textes faisaient partager les notions clés de la culture japonaise. Dans ce nouvel ouvrage, c’est la manière dont les Japonais pensent et vivent l’espace qu’ils habitent qui est développée. Un éclairage bienvenu car si l’on parle beaucoup d’architecture japonaise contemporaine, encore faut-il comprendre les valeurs qu’elle véhicule, et ce, depuis des siècles et malgré les bouleversements apportés par l’influence occidentale. Une large partie est consacrée à l’esthétique « ordinaire » de ce peuple qui tire toute sa puissance de l’objet le plus simple et le plus commun.
Sur le plan de l’harmonie sociale que représente le modèle de la famille, la maison traditionnelle exprime l’impermanence de l’homme et l’effacement de l’individu au profit du groupe considéré comme un tout. A la fragilité et à la légèreté des matériaux utilisés – bois, papier, nattes – répondent une hiérarchisation des espaces intérieurs et la définition de seuils symboliques. En matière de paysage urbain, c’est l’opposition entre traditionnel et occidental, nouveau et ancien, qui retient l’attention ; une coexistence pas toujours heureuse où la valeur patrimoniale est presque inexistante. Sous l’apparent désordre des villes japonaises, c’est aussi le règne d’un ordre social conditionné depuis des millénaires qui est ici mis en perspective. Un ordre suffisamment prégnant pour se dispenser de la démonstration de configurations spatiales destinées à le symboliser. L’ordre paraît en effet toujours caché mais bien présent, comme dans la maison où l’ombre est considérée comme une matière. Par ailleurs, les études de cas consacrées à des habitations traditionnelles et à leur transformation témoignent du contraste saisissant qu’offre la vie actuelle des Japonais, notamment celle des citadins évoluant dans un contexte occidental et retrouvant chaque soir le tatami et les gestes ancestraux qui s’y déroulent. On comprend mieux la relation du Japonais à sa demeure, celle d’une attitude à laquelle son corps est soumis. Individu et position assise constituent avec la maison un complexe indissoluble, base de toute appréhension globale de l’espace et d’autrui. Ainsi, l’espace japonais apparaît surtout comme le lieu des impressions familières où prend corps la culture nationale et des valeurs morales, esthétiques ou de discipline collective que celle-ci enseigne. Une plongée riche d’enseignements dans une culture spatiale qui, aussi différente de la nôtre qu’elle soit, et malgré de récentes interférences avec elle, dévoile un espace domestique qui, de l’art d’habiter a fait un art d’être au monde.
 
  • "Façons d'habiter du Japon. Maisons, villes et seuils", Philippe Bonnin, Jacques Pezeu-Massabuau, CNRS Editions, 500 p., 28 €.

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