L'actualité de Le Nôtre - Livre

Les coordonnateurs de cet ouvrage, Michel Audouy et Chiara Santini, rappellent en introduction comment la modernité profonde de Le Nôtre a ressurgi dans les années 1980, grâce à la lecture que Michel Corajoud, Jacques Coulon et Marie-Hélène Loze venaient de donner du jardin de Versailles. Corajoud retenait de son prédécesseur « cinq leçons » : l'expérience du tracé (tout à la fois outil de mesure du territoire et principe structurant), le souci de l'état des choses (c'est-à-dire du génie du lieu), la patience (l'inscription du projet dans le temps), la traversée des échelles (du détail au tout et inversement), et enfin, le dépassement des limites, pour inscrire le projet dans son environnement le plus large. Du premier point, le tracé tel que Le Nôtre le pratiquait, dont on moque parfois ou au contraire survalorise les éléments décoratifs (broderies, statuaire…), il ne s'agit pas d'en avoir une lecture descriptive mais, écrit Coulon, de saisir « l'émotion spatiale à laquelle il contribue ». De même, plusieurs contributeurs démontent le cliché d'une froide géométrie. Jean-Marc L'Anton attribue ainsi à Le Nôtre la paternité du souple nivellement en ellipse, qu'il imprima aux futurs Champs-Elysées, ou à l'autre axe majeur qu'est le Tapis vert du parc de Sceaux. Catherine Szanto examine comment il usa de la symétrie : loin d'en rester à un axe unique, il déploya celle-ci à diverses échelles. Lesquelles organisent non seulement chaque point de vue, mais toute l'expérience spatiale dynamique se créant au cours d'une promenade. Alliant effets de symétrie et d'asymétrie, il offrait au promeneur de percevoir chaque espace de plusieurs façons, et d'aller de surprise en surprise.

Pour concevoir le parcours « le plus juste » de découverte pédestre du site de Roccapina, en Corse, Alain Freytet a ainsi employé des procédés d'approche du motif qu'employait Le Nôtre : tourner autour, être entouré, cadré… Enfin, il faut souligner que le jardinier de Louis XIV n'opéra jamais de table rase. Plusieurs articles expliquent comment il basa chaque projet sur les qualités géographiques propres au site et à son environnement.

On voit la filiation avec les paysagistes actuels. Et c'est fort de cette maîtrise du grand territoire qu'il put faire œuvre d'aménageur : en témoignent les rares dessins de sa main conservés, où il traça les routes menant aux châteaux royaux, ou l'allée de Villepreux, traversant cinq communes depuis le parc de Versailles - objet depuis 2010 d'un ambitieux programme de réhabilitation.