«L’architecture n’est plus une expression inféodée à un pouvoir politique ou religieux», par Jérôme Villemard, architecte et urbaniste, Villemard associés
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Dans son numéro 262-septembre 2017, AMC consacre un dossier à l'architecture réversible qui, réclamée par les élus et les aménageurs, commence à mobiliser les promoteurs, les majors du BTP mais aussi les architectes. Dépendant du système structurel initial, mais aussi de l'enveloppe, et du dessin intérieur, le changement d'affectation d'un édifice n'est pas un simple moyen d'adaptation aux aléas du marché immobilier : il est soumis à un arsenal de normes réglementaires, fiscales et administratives, variant selon les programmes. A l'heure où la flexibilité paraît à nouveau une priorité, AMC laisse la parole aux acteurs engagés pour comprendre comment anticiper la possible transformation d’un bâtiment, dans une équation économique réaliste.
Jérôme Villemard, architecte et urbaniste, Villemard associés
Pourquoi une architecture traverse-t-elle le temps ? Quelles sont les caractéristiques qui en déterminent la longévité ? Comment une forme urbaine perdure ? Si la structure d'une ville reste opérante à accueillir hier aujourd’hui et demain des collectivités et des individus, qui eux, changent, d'envie, de nombre, de politique, de ressources, de programme, de système économique, alors notre questionnement est fondamental et commun. Quelle permanence l'architecture peut-elle édifier ? Quels changements doit-elle permettre ?
La notion de mutation ou de réversibilité n’invoque pas un état programmatique passager à résorber, elle est la condition de la permanence d’une architecture. Aujourd’hui nous parlons de durabilité. Et la capacité d’un édifice à héberger le changement, permettre l’appropriation, voire le détournement, « contenir le passager avec le permanent » aurait dit Auguste Perret, est aussi remarquable dans l’histoire des théories architecturales et urbaines, que visible au cœur de nos villes. Qu’est-ce qu’un patrimoine sinon une architecture qui a dépassé son programme ? Les palais ne sont-ils pas devenus des musées ? Alors que rien ne les prédestinait à cet usage ? Les immeubles haussmanniens semblent accepter fréquemment la fonction bureau ? Et rien ne les rapproche du plan d’étage type des ensembles tertiaires contemporains ?
L’architecture n’est plus une expression inféodée à un pouvoir politique ou religieux, dédiée à la construction ponctuelle de palais, pyramides, ou cathédrales. La mission de l’architecte évolue : elle se confronte de plus en plus à une demande collective, bâtir en grande quantité et non plus pour quelque uns. Et c’est l’architecture en tant qu’Habitat au sens large, ordinaire, pour loger ou pour travailler, lieu du quotidien, espace domestique, qui concentre les efforts de chacun. A partir de l’idée qu’il ne s’agit plus tant de bâtir ce qui est unique, mais d’organiser, de partager et même d’économiser ce qui est commun. Construire une architecture de tous les jours qui puisse devenir un patrimoine pour demain.
Si aujourd’hui les enjeux écologiques, les logiques de rentabilité du marché de la construction et les aspects les plus essentiels de la qualité de vie liée aux villes, à l’architecture et aux territoires convergent vers la thématique de la réversibilité, cela est une réelle opportunité pour faire évoluer collectivement nos pratiques.
Ce qui dure dépasse sa fonction. Ce qui amène à considérer que les qualités d’un édifice ne dépendent que très peu d’une destination initiale. A une époque où le « programme » tient un rôle surdéterminant dans la conception des bâtiments, peut-être est-il temps d’annoncer une rupture souhaitable entre forme et fonction d’un édifice ? Afin de libérer nos énergies ? Et envisager que ce qui rend durable est peut-être bien plus déterminé par des qualités particulières sensibles matérielles et relationnelles d’un édifice, d’une rue, d’un quartier ou d’une ville, qu’elle qu’en soit la fonction ou le programme.
Un grand nombre d’aspects sont évoqués à juste titre pour maitriser les paramètres de l’évolutivité des constructions : dimensions, règles, montages juridiques. Mais ce qui conditionne la capacité d’une architecture à dépasser l’obsolescence de sa fonction initiale n’est pas la neutralisation totale des contraintes d’aménagement ou la répétitivité systématique afin de savoir « tout faire ». L’enjeu premier est d’offrir une singularité et une pertinence. C’est le caractère spécifique, voire unique d’une construction par le mode d’habiter qu’elle propose qui la rend utile, appropriable et d’actualité. Et permet à une société de s’en servir à sa guise plutôt que de la détruire. Qualité de l’espace construis, de l’inscription dans le lieu, de l’expérience matérielle produite, du système relationnel mis en place entre les personnes par l’organisation de l’espace. Car nous habitons et nous approprions ce que nous aimons et ce qui nous parle, de façon sensible et personnelle, autant qu’en tant que groupe. La réversibilité nous intéresse pour ce qu’elle peut apporter au présent et au futur. Pour ce que nous pouvons faire changer ensemble de nos modes de fabrication au prisme de cet enjeu.