L’Ensa Normandie : la grève de la fin ?
- Nicolas Houssais
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Depuis le 6 février 2023, l’École d’architecture de Normandie est en grève. Foyer de la contestation, ses revendications se propagent progressivement aux autres Ensa. Elles prolongent la lutte initiée à l’échelle nationale en 2020, trop vite stoppée par la crise sanitaire.
Les jours se suivent et ne se ressemblent pas. Au surlendemain d’un record d’affluence à ses portes ouvertes le 28 janvier 2023, comme vécu dans de nombreuses Ensa et révélateur de l’attractivité des études d’architecture, l’Ensa Normandie devait initialement débuter son second semestre. Mais la direction, en accord avec les instances représentatives de l'administration, des enseignants-chercheurs et des étudiants, a pris la décision de retarder cette rentrée au 6 février 2023. Au matin de cette date butoir, une assemblée générale extraordinaire regroupant près de 300 personnes dans le grand amphithéâtre de l’établissement a finalement voté, collégialement et à l’initiative des étudiants, le blocage des cours jusqu’aux début des vacances scolaires, le 17 février 2023.
Cette succession d’évènements et de décisions s’appuie sur un constat critique sans équivoque : l’Ensa Normandie fait face, depuis 13 mois, à de sérieuses et récurrentes problématiques financières et humaines. L’établissement, déficitaire de 680 000 euros sur l’année en cours, voit se précariser un nombre importants de contrats d’enseignants et s'amonceler les arrêts maladies au sein de l’administration, particulièrement au service formation. De nombreux enseignants ont des contrats courts et non renouvelés, ce qui condamne la continuité pédagogique et génère des carences de postes. Certains membres du personnel administratif en congés maternité ne sont pas remplacés, tandis que d’autres sont en congés maladie pour cause de burn-out, car la charge de travail est trop importante. Alors que les remplacements ne sont pas mis en place car le plafond d’emploi est atteint, l’établissement ne peut plus assurer ses missions. Les inscriptions pédagogiques et l’organisation des emplois du temps sont difficiles à mener. «Depuis quelques années nous faisons avec les moyens du bord donc le ministère de la Culture n'intervient pas. Beaucoup d’enseignants assurent des charges administratives alors qu’ils n’ont pas été recrutés pour cela, mais bien pour enseigner. Cette obligation de polyvalence nuit à l’enseignement de l’architecture et à leur santé», assure Marie Gaimard, enseignante titulaire à l’Ensa Normandie.
Entre indifférence et inaction
D’après les représentants des instances pédagogiques de l'école, ce blocus constitue une décision forte afin de réclamer au ministère de la Culture, qui assure la tutelle des 20 Ensa, plus de moyens, et ce jusqu’à satisfaction des demandes. Rédigé par les représentants élus des enseignants de l’Ensa Normandie, un communiqué de presse daté du 31 janvier 2023 indique que «les services du ministère proposent de financer à l’Ensa Normandie deux contrats à durée déterminée de 6 mois et 12 mois.» Insuffisant d'après les signataires, lorsque l’on sait que la demande visait le dédoublement des postes administratifs actuels. Rappelons aussi que la dotation de l’État pour un étudiant en architecture est de 8500 euros par an et par étudiant seulement, quand elle avoisine les 10550 euros dans les autres universités françaises*.
À l'Ensa Normandie, ce passage à l’action via un blocus apparaît inéluctable face à l’indifférence du ministère, pourtant alerté depuis des mois. L'administration centrale semblant manifestement se concentrer sur des dispositifs de soutiens à l'enseignement plus "symboliques" comme avec le projet Archifolies qui prévoit l'implication des Ensa dans la création de pavillons en prévision des Jeux Olympiques et Paralympiques 2024 à Paris ; et le prix Réséda qui sera attribué aux meilleurs diplômes éco-responsables, et dont la présentation la semaine dernière, avait vu la présidente élue de la Commission Pédagogique et Scientifique de l’Ensa Normandie, interpeller la ministre de la Culture, Rima Abdul-Malak, sur l'état de l'établissement, sans succès.
Soucieux à l’idée que la lutte nationale contre la réforme des retraites éclipse leur combat pour leur futur, eux qui ont vécu de nombreux mois d’enseignement dans une extrême précarité et en distanciel pendant la crise sanitaire, les étudiants de l'Ensa Normandie participent à des assemblées générales tous les deux jours. Ils investissent également les espaces publics rouennais pour essaimer leur revendications, à entendre comme «des cris de détresse, car ils sont extrêmement inquiets sur leur formation, alors qu’on leur assure que “les architectes seront les acteurs majeurs de la transition écologique”, explique Marie Gaimard. Depuis hier, à l’initiative des enseignants, le mouvement est en voie de structuration aussi bien dans son organisation que dans son plaidoyer et son argumentaire». Aussi, les prises de contact avec les acteurs locaux se multiplient et la question de se rendre à Paris se pose afin de «manifester au pied du ministère de la Culture pour rendre visible notre mécontentement, que nous partageons avec l’ensemble des établissements sous sa tutelle, précise encore Marie Gaimard. Les Ensa rejoignent en effet, une action des écoles d’art et de design, effective depuis le mois de décembre 2022».
L’Ensa Normandie ne semble pas être un cas isolé. La gronde se propagent chaque jour un peu plus aux autres écoles d’architecture françaises, qui face au peu d’investissement dont elles font l’objet et à la baisse de leurs budgets, réfléchissent déjà à des modalités d’action collectives, à la manière de ce qui avait été mis en place en 2020. Épicentre de cette fronde, l’Ensa Normandie appelle les autres établissements, dans un communiqué publié le 6 février 2023, à organiser «des assemblées générales pour discuter des situations, inventer des mots d’ordres et des actions originales à la hauteur des enjeux», dans l’objectif de créer un mouvement national.