« La maquette numérique à l’ère du bim », par Laure Carsalade, journaliste

Laure Carsalade, journaliste

 

 

 

 

 

La maquette numérique annonce la généralisation du Building Information Modeling (BIM), qui permet la transmission et le partage des données d’un projet entre tous ses acteurs. Pour les architectes, cela signifie garder la maîtrise de la technologie et préserver un positionnement de décideur.

L’agence d’architecture qui s’équipe de technologie pour produire une maquette numérique fait un choix stratégique : elle produit la représentation 3D du projet en vue de la traçabilité de tout son cycle de vie, de sa conception à son éventuelle démolition. Cette base de données a vocation à être partagée par les différents acteurs de la construction puis par les propriétaires du bâtiment. Une mission qui peut être encore investie par l’architecte – à condition qu’il s’en saisisse – avant que promoteurs et industriels équipés du Building Information Modeling (BIM) empiètent sur une partie de son rôle de prescription en imposant leurs vues.

À l’origine de son adoption, la nécessité de disposer d’un terrain de travail commun dans la collaboration à l’international. Daniela Lauret, directrice de l’agence Chapman-Taylor France a initié le processus en 2008. Elle se félicite d’avoir opté avec Revit, pour “une pensée en 3D avec une concordance plan / coupe / élévation qui autorise l’obtention d’un estimatif travaux en temps réel, procurant un outil d’analyse et de synthèse qui travaille tout seul !” Chez Brunet Saunier, Jacques Levy Bencheton, “BIM manager”, indique que les projets pour lesquels ce changement s’avère le plus pertinent concerne les programmes hospitaliers, de gros volumes demandant modularité, flexibilité, évolutivité. “Avec sa capacité à réunir les 3 000 pièces nécessaires d’un concours, la maquette numérique réduit un travail d’une semaine sous AutoCAD à deux heures sous Revit”, lance-t-il, ajoutant cependant que trois années d’apprentissage sont nécessaires à son usage plein et maîtrisé.

Il pointe le rôle essentiel de synthèse des clash, de contrôle de conformité de la maquette, tout au long de ses évolutions.

Le paysagiste Philippe Thébaud s’est montré pionnier dans cette quête. Sa société GVA (Geo-Vision-Avenir) a été missionnée pour trois ans dans un projet au Gabon mené en maquette numérique et en BIM. Le processus a autorisé 30 à 40 personnes à travailler simultanément sur le projet, en connexion à distance faisant l’économie de déplacements. Pour donner à visualiser par des non-initiés l’évolution d’un projet de paysage, il s’est associé au Sirad pour édifier une base de données de plusieurs centaines d’espèces de plantes et végétaux, montrant leur croissance sur près de vingt ans.

Si l’on estime généralement à une moyenne de 10 000 euros le budget nécessaire dans une agence pour doter une personne des outils et de la formation compatible BIM, le retour sur investissement est réel. Pascal Camliti, spécialisé dans la maison individuelle, qualifie de “spectaculaires” les effets sur sa pratique : “La conception est plus libre, le passage de l’esquisse crayon à l’ordinateur permettant de valider plusieurs hypothèses avec un calcul associé en temps réel. La vision de l’habitat est plus juste, en termes de cotes, de métrages, et l’on présente un rendu photoréaliste convaincant.” Il estime à un an et demi le temps nécessaire aux paramétrages précis et personnalisés qui lui ont assuré une fluidité d’usage et un gain en productivité effectif.

Une étude réalisée par McGraw-Hill Construction, permet de dégager les points clés des meilleures pratiques. Elle note que l’apprentissage de “la culture BIM” est un engagement continu, qui demande de tenir une veille, une réactualisation régulière. Parmi les avantages cités des retours d’expérience, on note des améliorations significatives dans l’efficacité de la communication des idées, la qualité technique des bâtiments, la diminution des coûts de construction, le développement d’opportunités de contrat…

Olivier Celnik, architecte de l’agence Z. Studio, énonce comme l’un des moteurs du changement, le cadre légal qui se dessine à court terme. Pour lever les freins identifiés auprès de ses confrères, il affirme que le succès de la maquette numérique “tient à 20 % dans la technique et à 80 % dans l’humain”. Il est possible d’intégrer partiellement et progressivement les outils : composer en 3D, ce que propose ArchiCAD depuis près de 25 ans, faire appel à des prestations externes avant de se former, profiter du Cloud pour conserver ses capacités de mémoire… 

Le BIM étant un processus créatif, il convient de savoir également le doser. Deux écueils basiques sont à éviter : si les logiciels sont de plus en plus intégratifs, il faut savoir ne pas dépasser le champ de sa spécialité. Il faut savoir aussi conserver une part de flou dans le niveau de renseignement des données sous peine de figer le projet, et pouvoir garder la liberté d’inventer ses produits plutôt que choisir du catalogue industriel.

 

Droit d’auteur de l’œuvre numérique

Cette technologie porte une nouvelle représentation de l’espace, avec des vues maquettes à 360° où il n’existe plus d’angle mort. On ne présente plus seulement l’extérieur du bâtiment, mais un mode immersif tridimensionnel proche du jeu vidéo, proposant des promenades
dans des espaces immatériels. Le film projeté sur écran illustre le phénomène d’instantanéité qui est une attente croissante de la part des maîtres d’ouvrage. Un dernier paramètre induit par la technologie concerne enfin la gestion de la vitesse. Le cas particulier de l’impression 3D est significatif de ce mouvement d’accélération des processus. L’agence Pietri Architectes s’est équipée d’une imprimante de ce type en réponse à une demande de la maîtrise d’ouvrage qui n’était pas tenable par une pratique artisanale. “L’impression 3D utilisée tôt dans le projet favorise la perception et rassure”, dit-il. Il qualifie cette voie d’expérimentation comme “un pas ludique mais non vital, qui deviendra une exigence pour le niveau de réalisme qu’il propose en un temps record, bien que le rendu manque de sensibilité”.

La production d’images entraîne enfin de nouvelles responsabilités : entre documents papier et numérisation, quelle pièce fera foi auprès des assurances ? Un jugement a été rendu en Suisse contre un constructeur de parking qui avait fait abattre des arbres alors qu’il les avait oubliés dans la représentation initiale de sa maquette 3D. Denis Dessus le Vice-président du CNOA pose également la question du “droit d’auteur de l’œuvre numérique – facilement reproductible – et de ses conditions d’usage et d’exploitation”. On peut en effet s’interroger sur les moyens de la reconnaissance de la création à l’ère du projet virtuel. 

 

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  • Le 24/05/2015 à 08h40

    Bonjour Le BIM oui, mais qui sera responsable en cas d'erreurs dans le quantitatif et les prix unitaires générés par le logiciel. L’expérience de l’économiste est nécessaire pour s'assurer de la réalité du prix M² et de faire la MAJ des prix et de la base de données.

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