Le numéro de février d'AMC est paru
Au sommaire du numéro d'AMC qui vient de paraître (n°284-février 2020) : un entretien exclusif avec Alvaro Siza, un dossier sur les tiers-lieux, des détails "éclairage zénithal" et une matériauthèque "pierre et composite". Mais aussi les réalisations du mois : le théâtre de Strasbourg signé LAN, un îlot de logements conçu par Brigitte Métra à Nantes, un groupe scolaire par Hessamfar & Vérons à Saint-Cyr-sur-Loire (Indre-et-Loire) et une halle d'essai à Aix-en-Provence par Régis Roudil. En référence, "Hogna Sigurdardottir, moderne islandaise".
Edito
Grand écart
On n’attend pas forcément l’architecte portugais Alvaro Siza au cœur de Manhattan, attelé à la construction d’une tour de logements de luxe, pour le compte de deux promoteurs américains. Qui plus est, dans ce quartier des bords de l’Hudson, où s’est concentrée ces dix dernières années une somme phénoménale d’investissements immobiliers. «Si nous pouvions convaincre tous les milliardaires du monde d’habiter ici, ce serait un don du ciel», avait déclaré Michael Bloomberg, l’ancien maire de New York, en 2012. Son vœu a été largement exaucé: les gratte-ciel ont poussé «comme des plantes vivaces» pour reprendre l’expression de Siza, abritant des condominiums, rarement habités, mais offrant un refuge solide à des masses monétaires volatiles transformées en béton, métal et verre. Les plus grandes signatures s’y côtoient, notamment européennes. A côté de Siza, on trouve Herzog & de Meuron, Piano, Hadid, Portzamparc, Nouvel, BIG, ou Chipperfield. Doit-on s’émouvoir que des architectes renommés prêtent leurs compétences pour donner forme au capitalisme mondialisé? Si eux ne le font pas, d’autres le feront, avec probablement moins de talent. L’architecture peut au moins préserver de la banalisation –façon mégapoles asiatiques– une ville qui a inventé la grande hauteur –«une ville debout», disait Céline– et en a fait son identité. Dans un autre univers, celui des territoires qui, eux, n’ont pas vu passer le moindre euro d’investissement depuis belle lurette (quartiers sensibles, petites villes, zones rurales), les tiers-lieux se sont multipliés –également depuis une dizaine d’années– silencieusement, en marge des politiques nationales. Offrant une alternative aux lieux domestiques comme à ceux du travail salarié traditionnel, ils endossent un rôle moins glamour: rompre l’isolement, recréer du lien et des solidarités, faciliter l’accès à l’emploi par l’économie collaborative, ouvrir à la culture, «redonner du commun dans un monde fragmenté», comme le dit joliment Pierre Veltz (La France des territoires, défis et promesses, Edition de l’Aube, 2019). S’emparant de bâtiments abandonnés, les programmes y sont participatifs et l’architecture s’y fait discrète et attentive, à l’écoute des usagers. Faire le grand écart, c’est peut-être la condition contemporaine de l’architecte, qui doit à la fois (on n’ose dire «en même temps») donner forme à la finance internationale et revitaliser les zones en déshérence.
Gilles Davoine, rédacteur en chef