Les écoles d'architecture brûlent de colère

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© Margaux DARRIEUS / AMC - Mobilisation des écoles d'architecture au Palais royal, Paris, mardi 4 février 2020.

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[Article mis à jour le 5 février 2020 à 15h00]

Vingt écoles d'architecture en grève, des directeurs, du personnel administratif, des enseignants et des chercheurs qui dénoncent un manque de moyens chronique, et des étudiants qui manifestent en soutien. La mobilisation que connaissent les écoles nationales supérieures d'architecture (Ensa) est d'une ampleur rare. C'est tout l'enseignement de la discipline qui revendique plus de considération de la part du ministère de la Culture, sa tutelle, pour bien former et se former. Ce 4 février 2020, un rassemblement avait lieu au Palais royal, à Paris.

«Ensa, école nationale sans argent». Ce 4 février 2020, les slogans et les maquettes enflammées devant les fenêtres du ministère de la Culture à Paris disaient le ras-le-bol des étudiants, des enseignants et du personnel administratif des 20 écoles nationales supérieures d'architecture (Ensa) face au peu de considération dont ils font l'objet de la part de leur tutelle. Au Palais royal, tous étaient rassemblés pour manifester leur soutien aux directeurs et présidents de conseil d'administration (CA) des établissements, reçus au même moment par Philippe Barbat, directeur général des patrimoines, au ministère de la Culture. Dans un courrier adressé le 10 janvier 2020 à Franck Riester, le ministre de la Culture, les administrateurs dénonçaient le manque de moyen à leur disposition pour mener à bien leur mission de formation. La réponse du ministre a tardé. Elle a sûrement été précipitée par la mise en grève administrative des conseils pédagogiques et scientifiques (CPS) des 20 écoles, instances regroupant les représentants des enseignants, des étudiants et du personnel administratif, décidant des programmes pédagogiques, assurant la gestion des carrières des enseignants et les recrutements. Une mobilisation à laquelle sont désormais associées les équipes de recherche des établissements, ainsi que le Conseil national des enseignants-chercheurs des écoles d’architecture (CNECEA), chargé d'instruire les candidatures des aspirants enseignants pour le compte du ministère.

Précarisation

C'est le manque d'investissement dans le fonctionnement des écoles que tous dénoncent. Situation aggravée, d'après les CPS, par la mise en œuvre d'une réforme en 2018, organisant une refonte complète de la gouvernance des écoles mais qui n'a pas été accompagnée de moyen pour la mettre en œuvre. Les postes d'enseignants titulaires promis n'ont pas été créés, pire, les plafonds d'emploi en équivalent temps plein (ETP) baissent dans les écoles, alors qu'ils sont sanctuarisés dans les établissements sous tutelle du ministère de l'Enseignement supérieur. Tandis que le protocole de déprécarisation des enseignants contractuels, signé en 2017, n'est toujours pas respecté et que les nouvelles recrues ont du mal à faire valoir leur ancienneté dans le calcul de leur rémunération. «Nous avons découvert que le protocole d'accord interministériel portant sur la création de postes titulaires n'a jamais été signé par le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, et que le ministère de la Culture a accepté cette "non-signature". Pourquoi alors, respecter un accord qui n'existe pas?» s'insurgent des membres de CA, de retour de leur rencontre avec le directeur des patrimoines. «Ne pas être reçu par le ministère en tant que CPS est la preuve que notre tutelle a une méconnaissance totale des attributions de cette instance créée par la réforme de 2018, regrette de son côté l'un des présidents de CPS en grève. Si les CA s'occupent des bilans budgétaires et des partenariats, les CPS ont un rôle déterminant dans la gestion pédagogique et des ressources humaines des écoles.» La situation est manifestement tendue, d'autant plus que le traitement des écoles d'architecture par son ministère de tutelle n'est pas à la mesure des autres établissements dont il a la charge. En 2018, dans les Ensa, les subventions pour charge de service public étaient de 2506 €/étudiant, tandis que dans les conservatoires nationaux, ce montant s'élevait à 11885 €/étudiant*. Comment, dès lors, mettre en œuvre l'horizon ambitieux qu'ouvrait le rapport Feltesse de 2013 pour ces établissements, en militant pour leur ouverture à l'international, le développement de partenariats, l'adaptation des outils pédagogiques aux nouvelles conditions d'exercice des métiers de l'architecture, etc.?

Ecart de traitement

«On nous donne les mêmes objectifs d'excellence scientifique que les universités, mais sans les moyens du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, dénonce Guillemette Morel Journel, chercheuse à l'Ensa Paris-Malaquais, élue CFDT au comité technique commun des Ensa. Comparativement aux écoles nationales d'art, les écoles d'architecture n'intéressent pas le ministère de la Culture, puisqu'elles sont beaucoup moins dotées qu'elles. Elles rassemblent pourtant plus de la moitié des étudiants de l'enseignement supérieur, dont celui-ci à la charge.» Exactement, 19403 étudiants sur les 36116 rattachés au ministère. La présence de nombre d'entre eux au Palais royal, accrochant leurs planches de rendu sur les colonnes de Buren ou entonnant des chants partisans, prouve qu'ils ont conscience de cet écart de traitement. «Enseignants, étudiants et personnel administratif, nous sommes tous dans le même bateau», décrit Pierre, étudiant en 5e année à l'école de Paris-Malaquais, prêt à mettre le feu à sa maquette en signe de protestation. La répartition inégale de la contribution de vie étudiante et de campus (CVEC) entre les universités et les écoles d'architecture, pourtant réclamée à tous les étudiants au moment de leur inscription chaque année, est aussi un sujet de colère. «A cause du manque de moyens humains de notre établissement, certains cours n'ont pu commencer qu'un mois après la rentrée et l'offre d'enseignement s'est réduite en master, explique Leila, étudiante en 3e année à l'Ensa de Bretagne. Les établissements fonctionnent grâce à la bonne volonté de nos enseignants, surchargés et parfois non payés. Leur précarité nuit au déroulement de nos études.» Basée à Rennes, l'école de Bretagne avait décrété le 4 février une journée morte, à l'initiative de ses quelque 600 étudiants, à l'étroit dans un bâtiment conçu pour en accueillir 400. Les directeurs doivent être reçus ce 5 février 2020 par le ministre de la Culture. Dans l'attente de leur retour, les enseignants des écoles envisagent déjà d'autres modes de contestation, comme le blocage de Parcoursup ou le non-traitement des dossiers de candidature à l'inscription des futurs étudiants de leurs établissements.

 

Mobilisation des écoles d'architecture au Palais royal, Paris, mardi 4 février 2020. © Margaux DARRIEUS / AMC

 

* Chiffres présentés dans le Rapport sur l’état de l‘enseignement supérieur et de la recherche Culture (ESPC), rendu au CNESERAC (Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche artistiques et culturels) en mars 2019.

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