Paru pour la première fois en 1974 et réimprimé en 2015, dans Comment vivre avec les autres sans être chef et sans être esclave?, Yona Friedman propose par le biais d’une bande dessinée simpliste — faite de personnages en « bâtons », de lignes, de points et de flèches, et pas plus de deux cases par page — un exercice didactique complexe autour de ce qui régit le groupe en tant que système social dynamique. Très simplement, on suit Friedman dans une dérive censée où il donne une lecture naïve — selon ses propres termes — mais bienvenue de la structure sociale des groupes, que l’on parle d’un groupe d’amis, d’une association, d’une institution ou de la société en général. En quelques dessins et quelques mots, Friedman dresse les hypothèses de conditions d’existence du « groupe égalitaire » ou du « groupe critique », dont on perçoit l’équilibre furtif et fragile. Comment vivre avec les autres sans être chef ni sans être esclave? contient peut-être les réponses de Yona Friedman aux questions exposées par The Limits to Growth publié deux ans auparavant ? Aujourd'hui, 50 ans plus tard, ces questions sont plus que jamais d’actualité.
À l’origine de l’architecture, on cite souvent l’abri nécessaire construit par l’humain pour se protéger d’un environnement hostile. L’architecture, de par la construction de limites, est le moyen physique de diviser, de qualifier des environnements opposés : avant l’architecture, il n’y a ni intérieur, ni extérieur, ni privé, ni public. Il n’y a que l’environnement. Il n’y a que le milieu. Pour l’architecte Junya Ishigami, l’architecture n’est pas cet abri qui rejette l’environnement de l’autre côté du mur. L’architecture ne fait pas partie de l’environnement. Elle est l’environnement. Pour illustrer sa position, l’architecte mélange représentations du vivant et représentations architecturales accompagnées de courts textes descriptifs qui semblent parfois parler d’autre chose que ce qui est montré. Pourtant tout fait du sens, tout est lié. L’ouvrage, façonné à la perfection, est un voyage onirique à travers cinq chapitres — nuages, forêt, horizon, ciel, pluie — au sein duquel l’architecture trouve sa place, comme les oiseaux, les humains, l’eau, l’électron, les racines.
La notion de care peine à se traduire en français dans toute l’acception de sa signification anglaise. Dans son essai Moral boundaries: a political argument for an ethic of care publié en 1993, Joan Tronto en décrit quatre aspects fondamentaux : l’attention, la responsabilité, la compétence et la capacité de réponse. Thierry Paquot, quant à lui, parlera de ménagement plutôt que de soin pour tenter de faire comprendre, au-delà de l’évidence, l’attitude indispensable face aux objets et aux choses qu’implique cette notion de care. Dans leur court essai manifeste, la philosophe Cynthia Fleury et le designer Antoine Fenoglio, choisissent l’emprunt au terme allemand Verstohlen (furtif) pour proposer de nouveaux contours à la pratique du care, appliqués aux transformations architecturales et urbaines, d’un point de vue philosophique comme opérationnel. Ils prônent de possibles nouvelles pratiques du design et de l’architecture, ancrées à la fois sur l’humain et le territoire, les savoirs « expérientiels », l’approche qualitative, sur le temps long et l’intervention non-violente, résiliente et progressive instaurée par le « climat de soin ».
Joanne Pouzenc, mai 2023