Matière grise : les livres de Matthias Gervais de Lafond, pour concevoir un espace-temps
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Parce que les défis sociaux et environnementaux contemporains sont immenses, qu'ils mettent à plats les modèles architecturaux et les références intellectuelles, la rédaction d'AMC interroge les architectes, les enseignants et les chercheurs sur leurs livres pour penser le passé, le présent et le futur. Une "matière grise" à mettre en partage, pour fabriquer une nouvelle culture commune. L'architecte Matthias Gervais de Lafond, enseignant-chercheur à l'Ensa Paris-Malaquais et cofondateur des Éditions Cosa Mentale, expose sa bibliographie pour interroger l'inscription temporelle de l'architecture contemporaine, à l'heure où la menace des événements à venir imprime l'acte de projeter, dans sa réalité physique et sa valeur mémorielle.
Giorgio Agamben, Qu’est-ce que le contemporain ?, Payot et Rivages, 2008
Notre compréhension d’une société détermine des pratiques architecturales. Qu’est-ce que le contemporain ? Quel usage faire de nos ressources ? Comment faire face à l’obsolescence ? Faut-il s’émanciper des traditions ? Que peut-on encore partager ? Comment vivre sous une menace ? L’architecture mobilise des polémiques et des débats d’actualités dont il est utile de comprendre les enjeux. Ce livre est un outil formidable pour évaluer le regard que l’on porte sur notre époque.
Livio Vacchini, Capo Lavori, Caryatide, 2023 (nouvelle édition)
L’architecture est une discipline indissociable de son expression matérielle. Il existe, par exemple, une relation essentielle entre l’architecture et la construction à cause de la gravité terrestre. C’est la première permanence de l’architecture. Cette considération permet d’aborder la construction et le chantier d’une manière hautement émotionnelle. La justesse de la pensée constructive est une clef pour trouver la signification d’un projet d’architecture. Depuis ses origines, l’architecture est corrélée à son langage structurel. Le portique des innocents de Brunelleschi (en 1445) ou la Tama Art University de Toyo Ito (en 2007) répondent avec leurs colonnades au même « problème » posé par la gravité quand nous voulons franchir un vide. Ce magnifique livre de Livio Vacchini nous aide à comprendre ce lien fondamental qui relie tous les bâtiments et toutes les époques.
François Hartog, Régimes d'historicité : Présentisme et expériences du temps, Seuil, 2003
Je considère le temps comme la grande victime de notre société. La non-durabilité des modes de production et de réflexion contamine avec une vitesse accrue toutes les disciplines et toutes les industries. Il en résulte une architecture dématérialisée, coupée de toute origine et parfois même de toute réalité. Une réflexion sur l’ancrage temporel de l’architecture est le point de départ pour interroger le sens de bâtir. Ce livre permet d’ouvrir une réflexion sur ces questionnements.
Aloïs Rieg, Le Culte moderne des monuments, Seuil, 2013 [1ere éd. 1984]
Ce livre nous aide à réfléchir à nos critères de valorisation des bâtiments, et à comprendre ce qui constitue leur « monumentalité ». On peut, par exemple, parler d’une valeur immatérielle de l’architecture. Cela peut sembler contradictoire avec la défense de son expression constructive évoquée précédemment - c’est pourtant complémentaire. Le concept de "patrimoine architectural" existe parce que l’architecture à une valeur immatérielle. Un bâtiment solide ou bien construit ne devient pas nécessairement un patrimoine à protéger. Seule sa capacité à créer du sens le rend remarquable.
Jesus Rabago, Le sens de bâtir. Architecture et philosophie, Theetete, 2000
Ce livre résume parfaitement ce qui constitue, selon moi, notre mission d’architecte. Par la connaissance des matériaux et de leur mise en œuvre, l’acte de construire peut être abordé de manière philosophique. « Voici exactement ce qui nous intéresse : se servir de formes et de matériaux connus, mais d’une façon nouvelle qui les fasse redevenir vivants » (Jacques Herzog). Cette exploration sur le sens de la construction nous éloigne du symbolisme et de l’analogisme ; elle profite à une architecture dont la mise en œuvre intelligible est essentielle à l’appréhension du bâtiment. La valeur d’un matériau est liée à la pensée de sa mise en œuvre.
Matthias Gervais de Lafond, juin 2023