Matière grise : les livres de Stéphanie Dadour, pour penser les fractures sociales, écologiques, politiques...
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Des livres pour bien commencer l'année
Parce que les défis sociaux et environnementaux contemporains sont immenses, qu'ils mettent à plats les modèles architecturaux et les références intellectuelles, la rédaction d'AMC interroge les architectes, les enseignants et les chercheurs sur leurs livres pour penser le passé, le présent et le futur. Une "matière grise" à mettre en partage, pour fabriquer une nouvelle culture commune. L'enseignante-chercheure Stéphanie Dadour, autrice du récent Des Voix s’élèvent. Féminismes et architecture (Éditions de la Villette, 2023) nous ouvre sa bibliothèque, et propose des lectures qui ont de commun la dénonciation d’un système qui rend les écarts de plus en plus importants, intolérables.
Paulo Freire, La pédagogie des opprimés, éditions Agone, 2021 (1968)
Parce que d’autres mondes sont possibles, notamment à partir et dans un milieu qui m’est très cher, celui de l’enseignement et de la recherche. Cet ouvrage de Freire va au-delà de l’idée de transmission, et propose une pédagogie dialogique en redéfinissant les rapports hiérarchiques, revalorisant les étudiant.es et leurs savoirs. La pédagogie des opprimés est une pratique d’émancipation où on apprend à décrypter le monde et où on cherche les moyens de le transformer. A contre-courant du contexte actuel de marchandisation des écoles, c’est une véritable réflexion et pratique de la rencontre… qui prend tout son sens dans le contexte actuel des Ensa !
Svetlana Aleksievitch, La fin de l’homme rouge ou le temps du désenchantement, éditions Actes Sud, 2013
C’est une remise en question de la relativité ou de l’incomplétude de la Grande Histoire ; de ce moment à la fois très précis et pourtant longuement préparé où le monde n’est plus le même. Rupture. Pour ceux et celles qui vivent la rupture, il y a un avant et un après. Ici, quand l’Union soviétique tourne le dos au communisme et rejoint le capitalisme. Svetlana Aleksievitch articule les faits aux témoignages, parce qu’ils sont indissociables. Qu’est-ce qui s’effondre ou se transforme : un système, certes. Des vies aussi. Mais surtout, des valeurs, des croyances, des habitudes et habitus, des représentations, des modes de vie et d’être.
Ce qui est universel, qui ne change pas ou que l’histoire ne parvient toujours pas à « corriger » : la vie humaine a toujours aussi peu de valeur au vu de la « grandeur » des états. L’incapacité qu’à l’histoire à transformer le monde, mais sa capacité à nous démontrer la petitesse de l’humain.
Aline Kiner, La nuit des béguines, éditions Liana Levi, 2017
Début des années 1300 à Paris. Liberté, indépendance, subversion et émancipation sont au cœur de ce roman. Une avant-garde féministe, tout près de chez nous, et pourtant peu racontée.
Malcom Ferdinand, Une écologie décoloniale, éditions du Seuil, 2019
Critique de l’environnementalisme, Ferdinand historicise l’écologie décoloniale, depuis la colonisation européenne des Amériques en 1942. Dans une perspective intersectionnelle, ce travail rappelle, dans le prolongement de Fanon, Césaire, Glissant ou Shiva, que pour sortir du déni de la fracture écologique, il faudra remettre en question le déni de la fracture coloniale. Par l’apport d’un champ lexical important, il propose un contre-récit de la pensée écologie dominante prenant en compte le politique, le social et l’imaginaire. Toujours directement lié à l’économie capitaliste.
Stéphanie Dadour, avril 2023
