«On visite une biennale pour ressentir une émotion», Julien Choppin, commissaire du pavillon français de la Biennale de Venise 2018
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A l'occasion de l'enquête parue dans AMC n°264-novembre 2017, sur les biennales d'architecture et la fièvre événementielle qui a gagné les métropoles françaises en 2017, Julien Choppin, cofondateur d'Encore Heureux, expose sa vision des enjeux de la médiation de l'architecture. Et il dévoile, un peu, de la forme du prochain pavillon français de la Biennale de Venise 2018, dont il sera le commissaire.
AMC : Parfois qualifiée de « foire internationale », de « grande ménagerie », la biennale de Venise reste un événement culte. Qu’est-ce qui, d’après vous, fait l’intérêt de cette manifestation ?
Julien Choppin : Visiter la biennale de Venise ou y participer en tant que délégation nationale, c’est accepter un format et des règles du jeu particulières, qui font tout l’intérêt de l’événement : le commissaire général donne le ton, pose une question, et il revient aux pavillons nationaux de s’emparer de ce mot-clé, de le faire résonner avec leur propre expérience. Aussi vague cette thématique générale puisse-t-elle paraître, c’est précisément parce que tous les pays s’en emparent à leur manière, qu’ils en livrent une interprétation qui leur est propre, que la biennale a une cohérence. C’est parce que cette manifestation n’est pas homogène, qu’on y passe du coq-à-l’âne, qu’elle reflète une diversité de points de vue et permet, en réalité, de faire le tour de la question posée, qu’elle est intéressante et inédite.
Le principal enjeu pour chaque délégation nationale est de transmettre son point de vue, alors que les visiteurs passent huit minutes en moyenne dans un pavillon. Comment immédiatement installer un climat, une ambiance ? Comment être pédagogique et suffisamment percutant pour transmettre une émotion et rendre intelligible son propos ? Concevoir un pavillon est un exercice scénographique difficile, c’est l’art de raconter une histoire et implique une réelle réflexion communicationnelle. Cela rend le commissariat passionnant.
AMC : Trop littéraire, pas assez graphique, trop léger sur le fond… à chaque édition, les critiques pleuvent sur le pavillon français. Faut-il privilégier une installation ou un format plus classique d’exposition ?
Julien Choppin : A Venise, étonnement, ce sont souvent les artistes qui produisent des œuvres architecturales… lors de la biennale d’art contemporain. Cet été, Xavier Veilhan a réalisé un travail d’architecte en transformant le pavillon français en un studio d’enregistrement. Dans le pavillon allemand, qui a obtenu le Lion d’or, l’installation d’Anne Imhof était également un dispositif spatial : un plancher de verre distingue deux mondes, celui des figurants en dessous et celui des visiteurs au-dessus. Ensemble, ils créent une œuvre d’art totale. A contrario, pendant la biennale d’architecture, les commissaires architectes tendent à faire des expositions. Or c’est chose difficile pour l’architecture. Comment ne pas la réduire à la mise en scène de fragments de bâtiments ou à l’affichage de panneaux rendant compte d’une recherche ?
La biennale est un médium qui permet de partager une réflexion. Pourtant, on y vient d’abord pour ressentir quelque chose, pas nécessairement pour approfondir une idée [c’est plutôt le rôle du catalogue]. Dans ce cadre, notre défi en tant que commissaires du pavillon français sera de lier un effet d’installation au déploiement d’un discours. A la dernière biennale d’architecture, le pavillon allemand conçu par Peter Cachola Schmal, Anna Scheuermann et Oliver Elser a réussi ce grand écart très émouvant : en démontant partiellement le pavillon, ils ont produit un geste fort capable de toucher tous les visiteurs, tout en traduisant efficacement, et avec un graphisme soigné, une question d’actualité, celle des migrants, et ce qu’elle induit sur la pratique.
AMC : Fort de votre expérience de la médiation, notamment l’exposition « Matière grise » au pavillon de l’Arsenal, quelle question souhaitez-vous soumettre aux visiteurs du pavillon français et sous quelle forme ?
Julien Choppin : Après avoir exploré la question du réemploi des matériaux de construction avec « Matière grise », nous entamerons à Venise une nouvelle recherche. Pour apporter une contribution au thème « Freespace », choisi par Yvonne Farrell et Shelley McNamara, commissaires de cette 16e biennale, nous nous intéresserons à des lieux particuliers tels que le Centquatre, où nous travaillons ; ou l’ancienne maternité Saint-Vincent-de-Paul à Paris, où prend place l’opération d’occupation temporaire Les Grands Voisins et des pratiques spontanées. Ils parviennent à accueillir l’imprévu, à offrir des zones de gratuité et à intégrer des usages non programmés. Nous allons explorer ces espaces, moins par la question de leur conception a priori ou la façon dont ils ont été construits que par ce qui s’y passe. Comment raconter la vie de ces lieux ? Comment montrer les choses impalpables et surprenantes qui s’y déroulent ? Comment en faire une démonstration, un contenu d’exposition ? Nous sommes en train de travailler sur ces questions, aussi bien pour le choix des lieux que nous voulons mettre en valeur que sur la façon de le faire.
Propos recueillis par Margaux Darrieus