Où va l'École spéciale d'architecture?

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© Mathilde Cornu - Les étudiants de l'École spéciale d'architecture en grève, avril 2015, Paris.

Après avoir réclamé en avril 2015 la démission de leur directeur, François Bouvard, les étudiants de l’École spéciale d’architecture, établissement privé au statut associatif, lancent une pétition pour avancer la date de la prochaine Assemblée générale où seront renouvelés une partie de ses membres. Ils ont peur que la pédagogie de l’école pâtisse des décisions successives prises par la direction actuelle et que l’ESA ne se mure dans “un entre-soi élitiste”.

Alors que l’établissement fête cette année ses 150 ans d’existence, la fin de l’année universitaire n’est pas rose à l’École spéciale d’architecture. Ni pour ses étudiants, ni pour la direction. Les deux parties sont engagées, depuis avril dernier, dans un bras de fer dont on peine à voir l’issue. Dernière contestation en date: les étudiants ont lancé, fin mai, une pétition pour demander aux membres du Conseil d’administration de l’école (CA) la tenue d’une Assemblée générale avant la fin du mois de juin 2015 et au cours de laquelle la moitié de ses membres doit être renouvelée. La direction ayant programmé l’évènement pour la fin septembre, au moment de la rentrée scolaire. Établissement privé d’enseignement supérieur reconnu d’utilité publique depuis 1870, l’ESA est la seule école privée d’architecture en France. Association loi 1901, elle est dirigée par un CA, élu par une Assemblée générale composée de membres issus des collèges administratifs, enseignants et étudiants, et de quelques représentants de la Société des architectes diplômés de l’École spéciale d’architecture (SADESA). Comment les étudiants en sont-ils arrivés à demander le soutien de la communauté des architectes pour obtenir la tenue d’un évènement important pour la vie de leur école?

 

Désertification

C’est le non-renouvellement de nombreux contrats d’enseignants (notamment étrangers) depuis l’arrivée de François Bouvard à la tête de l’école, et le licenciement de 9 membres du personnel administratif (dont beaucoup de syndiqués) en avril dernier qui ont mis le feu aux poudres et contribuer à rompre le dialogue entre les apprentis architectes et la direction de l’ESA. Exit les responsables du service informatique, de la reprographie, de l'atelier maquette et de deux bibliothécaires, dont les fonctions devraient désormais être assurées par des étudiants bénévoles… Raison invoquée : une réduction obligatoire des dépenses pour absorber le déficit de quelque 500 000 € qui plombe les comptes de l’école, comme l’explique François Bouvard au journal le Monde. D’où vient ce trou de trésorerie qui n’existait pas, selon nos sources, au départ d’Odile Decq, l’ancienne directrice de l’ESA, il y a trois ans? C’est un peu l’histoire de la poule et de l’œuf. La diminution du nombre de professeurs, dont les auras nationales et internationales étaient identifiées comme un des atouts de l’ESA par l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES) dans ses rapports de 2012 et 2013, aurait diminué l’attractivité de l’école. De quoi expliquer la baisse du nombre d’étudiants inscrits, dont les frais de scolarité (4 000 €/semestre) représentent 90% des sources de revenus de l’établissement. Selon les étudiants interrogés, ils seraient à peine 700 aujourd’hui à l’ESA, contre 1 200 à 1 300 il y a quelques années, et ils estiment à près de 200 le nombre d’entre eux à vouloir aller voir ailleurs en rejoignant d’autres écoles d’architecture… Combien y avait-il de candidats à une inscription à l’ESA cette année et combien y aura-t-il de nouveaux élèves en septembre 2015? Impossible de le savoir, la direction de l’école n’ayant pas répondu à nos sollicitations par mail et téléphone. Par ailleurs, l’AERES reconnaissait également dans ses rapports la qualité des services parapédagogiques de l’école (laboratoires informatique et photographique, atelier maquette, centre de documentation…). “Ne faudrait-il pas inventer de nouvelles sources de revenus pour l’école plutôt que de couper dans ses forces vives?”, interroge un professeur inquiet pour l’avenir de l’ESA*. À Londres, l’Architectural association dont la structure est à peu près similaire, fonctionne avec des partenariats privés.

 

Pensée unique

Encore faudrait-il que la direction actuelle souhaite s’ouvrir sur l’extérieur pour inventer de nouveaux modèles d’enseignement et de financement. Mais c’est un changement radical de pédagogie qui inquiète la grande partie des étudiants ayant choisi de s’inscrire à l’ESA pour son ouverture à l’international et sa valorisation de la recherche. Le site de l’école est pourtant explicite: “S’ouvrir au monde pour une école d’architecture, c’est ouvrir son enseignement au questionnement, à la critique, à l’écho d’un monde en mutations et d’un métier qui doit s’impliquer dans ces changements.” Les évènements des derniers jours illustrent, hélas, un tournant bien moins réjouissant qu’un étudiant en colère regrette: “la direction est en train de réduire la fonction d’architecte à celle de constructeur en proposant moins d’enseignements sur la théorie et l’expérimentation, qui sont pourtant les valeurs de fondation de l’ESA. C’est une école internationale qui doit le rester mais comment, quand un élève se voit interdire de soutenir son diplôme en anglais?”. Le climat est électrique: grèves des étudiants et installation des ateliers dans le jardin de l’école, interdiction d’accès aux salles de cours par la direction puis réouverture dans la foulée, pétition pour demander la révocation du CA… Les deux parties n’en démordent pas, c’est à qui lâchera le premier. Invités par les étudiants à venir faire une conférence le mois dernier, l’artiste Didier Faustino et le sociologue Jean-Louis Violeau ont tous les deux reçus un courrier recommandé de la direction les invitant à annuler l’évènement car ils ne faisaient “pas partie des conférenciers programmés par l’ESA ce trimestre”. Ils ont tous deux tenu leurs engagements auprès des élèves. “Il y a, semble-t-il, une volonté de faire une école élitiste, avec très peu d’étudiants et un champ de pédagogie restreint. Or, c’est de la diversité que découle l’attractivité d’une école privée”, analyse un des professeurs qui soutient le mouvement contestataire. Dès lors, c’est parce que les élèves suspectent une purge du corps enseignant durant l’été – visant à se défaire de personnes n’allant pas dans le sens de la direction - qu’ils demandent que l’AG se déroule avant la fin du semestre… Mais la direction se mure dans le silence. Pourtant, le site de l’ESA décrit clairement les atouts de cette école en “cogestion”, où étudiants et enseignants assurent un rôle prépondérant dans l’Assemblée générale et le Conseil d’administration, en étroit dialogue avec le directeur. “Un fonctionnement collégial est une chance pour une contribution effective, collective et dynamique de tous les membres de l’association à un projet d’établissement”, est-il écrit. Il est temps que le dialogue reprenne, au risque que l’école ne périclite et ce sont ses étudiants qui, à coup sûr, en pâtiront le plus.

 

* Toutes les personnes interrogées ont souhaité garder l’anonymat.

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  • Le 25/02/2016 à 10h35

    Nouvelle confusion à l'ESA ; la direction a mis fin aux contrats d'enseignants qui suivaient des diplômes qui seront présentés dans 1 mois 1/2. Une cinquantaine d'élèves se retrouvent sans référent pour leur travail....

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