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Une conversation avec Peter Zumthor, le plus taiseux des Prix Pritzker, menée par l'historienne de l'architecture norvégienne Mari Lending, tel est l'objet de ce petit livre, ponctué de splendides images en noir et blanc de sa photographe fétiche, Hélène Binet. Il se lit d'une traite, donnant l'illusion d'assister à un échange feutré de salon, en toute intimité mais aussi préciosité. On y parle d'architecture et de littérature, de cristallisation stendhalienne, entre autres, mais surtout d'histoire, de la manière dont le temps, la mémoire et les temporalités se reflètent dans les réalisations de Peter Zumthor.
On connaît déjà le discours de Peter Zumthor, ce qu'il nomme la "magie du réel" et qui, en tant qu'architecte, l'interroge, le pousse à soulever le voile sensible d'un savoir-faire personnel rivé à l'appel des sensations. Or, ici, ce qu'il est intéressant de découvrir, c'est le changement d'Atmosphère* qui opère chez lui et le regard qu'il pose sur son œuvre. "Auparavant, je disais volontiers que je cherchais un moyen de créer une atmosphère adéquate. Mais aujourd'hui, lorsque je parle de la temporalité de mes lieux, j'essaie de réaliser ce que j'appellerais une "reconstruction émotionnelle"." L'enjeu étant de définir les qualités formelles et matérielles que doivent avoir ses bâtiments pour évoquer la temporalité d'un lieu, qui, au-delà d'une approche contextuelle, formelle, et interventionniste sur un site, stimule "des sentiments d'empathie voire de compassion, mais aussi une curiosité ludique qui pousse à faire l'expérience d'un lieu".
Chaman
Pour Zumthor, ce qui importe, est de réussir à composer une œuvre d'architecture qui devienne le support "d'une expérience partagée", une présence que les gens pourront associer à leur propre paysage émotionnel. Au-delà du poids de l'histoire et des souvenirs de chacun, c'est comme s'il cherchait à atteindre une contemporanéité fluctuante à travers l'excavation d'un langage architectural spécifique à chaque lieu, qui lui appartienne et résonne avec sa temporalité, passée mais aussi présente. En témoigne son projet du musée des mines de zinc d'Allmannajuvet (2016) en Norvège, sur lequel il s'étend longuement afin d'expliciter son rapport à l'histoire. Car il y a l'histoire factuelle, celle qui est enseignée, écrite dans les livres, et il y a celle qui est "conservée et accumulée dans les paysages, les lieux et les objets. Les choses que je peux voir et sentir dans le paysage sont physiques et réelles, peu importe si elles semblent d'abord muettes, cachées et mystérieuses".
C'est néanmoins dans cette perspective historique que l'ouvrage atteint ses limites, celle d'une théorisation poussive qui voudrait à tout prix intellectualiser un propos qui ne l'est pas. Au fond, Zumthor est un grand chaman de l'architecture et son approche de l'histoire, complètement phénoménologique. S'il cherche à faire ressentir les choses qui sont absentes plutôt que de créer un sentiment de présence pour des choses perdues, c'est encore et toujours guidé par un processus purement intuitif où le registre émotionnel est roi. Et c'est dans cette optique qu'il faut déguster ce petit ouvrage, boire les paroles du grand maître pour ce qu'elles sont, plus qu'un changement de concept, une présence "atmosphérique".
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Présences de l'histoire, Peter Zumthor, Mari Lending. Editions Scheidegger & Spiess, 81 p., 2018, 29 €. *Atmosphères, Editions Birkhäuser, 2008.