Quand Jacques Lucan confronte le logement à l'habiter - Livre
- Gilles Davoine
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De Jacques Lucan, on attend des ouvrages denses, précis et rigoureux, qui, tout en revêtant une dimension historique, restent en prise avec la façon contemporaine de faire de l'architecture, ici et maintenant. C'était le cas en 2015 avec son dernier opus, Précisions sur un état présent de l'architecture (lire AMC n°245, octobre 2015), où il s'efforçait de classifier les postures adoptées par les architectes ces trente dernières années. C'est encore le cas avec sa dernière livraison consacrée au logement, dont le titre, Habiter, montre d'emblée l'ambition.
Loin de se contenter d'établir une énième histoire de l'architecture du logement en Europe, Jacques Lucan s'interroge ici plus globalement sur ce que recouvre la question de « l'habiter », sur sa lente évolution depuis deux siècles, et sur les raisons de sa formalisation architecturale, aujourd'hui pratiquement uniforme dans tous les pays développés. Il prend soin de le préciser dès l'introduction : « La question du logement est celle de l'habitat comme milieu, avec ce que ce dernier mot entraîne de dimensions sociales et anthropologiques ». D'où un détour salutaire - en résonance frappante avec la crise écologique actuelle - par l'habitat vernaculaire de l'époque préindustrielle, fortement ancré, par les matériaux employés, les systèmes constructifs et les modes de vie, à un territoire géographique restreint. Le titre de ce chapitre, intitulé « Le temps perdu », suggère que l'architecture du logement a perdu un siècle avant de retrouver très récemment les vertus de l'environnement local. Car les cent pages qui suivent, plus classiques, retracent l'histoire de ce XXe siècle où les architectes, s'affranchissant de l'ancrage territorial, s'emparent de la question du logement de masse, imposée par l'exode rural et la croissance soudaine des villes, sous l'effet de la révolution industrielle et des vagues successives d'immigration. Lucan souligne que si les caractéristiques intérieures de ces logements familiaux - types de pièces, mode de distribution, conditions de confort - seront fixées au milieu du siècle et ne bougeront que très peu par la suite, la façon de les regrouper, la présence ou non d'espaces « partagés », leur rapport à la ville et au paysage, connaîtront de multiples variantes.
Ces différentes « formes de l'habitat » sont alors passées en revue, en privilégiant les quatre dernières décennies, de Nouvel à Herzog & de Meuron, de Bruther à Lacaton-Vassal, de Portzamparc à MVRDV. Non sans avoir opéré auparavant un retour à l'anthropologie où Lucan s'interroge, en faisant appel à Paul Ricœur, sur les besoins et surtout les attentes des habitants. Et de conclure, compte tenu de l'impossibilité de connaître celles-ci avec précision, que « ceux qui conçoivent et construisent ne peuvent pas être des traducteurs littéraux des attentes de ceux qui habitent, en même temps que les attentes de ceux qui habitent ne peuvent pas être considérées comme immuables ».
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HABITER, VILLE ET ARCHITECTURE, Jacques Lucan. Editions EPFL Press, 398 p., 2021, 37,50 €.
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N°299
datant de octobre 2021