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Voyage dans les limbes rossiennes
Dans le cadre de la célébration du 40e anniversaire du centre Pompidou cette année, il faut mentionner la remarquable trilogie qui lui est consacrée aux Editions B2.
Les trois volumes se lisent comme des romans où s’enchaînent les aventures, qu’elles soient d’ordre architectural, biographique, historique, sociétal ou politique. Il est troublant – mais aussi passionnant – de comprendre à quel point l’anti-monument de Renzo Piano et Richard Rogers s’est révélé être le catalyseur d’une époque, celle de la Ve République et de l’après-Mai 68. Et plus encore, de prendre la mesure de sa capacité à se transformer au fil du temps, d’absorber comme de rendre corps aux signes d’une société culturelle en mutation, prise entre les feux de la démocratisation et de la communication. D’incarner une histoire de l’Etat et une histoire «parisienne», étroitement corrélée à la destruction des pavillons Baltard des Halles et à la redéfinition stratégique de ce morceau de capitale, aussi central qu’historique.
Une plongée contextuelle
Il y a, bien sûr, le fameux «effet Beaubourg» dont de nombreuses villes continuent de s’inspirer, mais il convient aussi de souligner à quel point cette réalisation est exceptionnelle, l’une des plus radicales du XXe siècle. On peut l’ériger en modèle, vanter sa multidisciplinarité programmatique, elle demeure porteuse d’un destin non reproductible. Dans la genèse du centre, rappelons le souhait initial et presque royal d’un président de la République féru d’art contemporain, Georges Pompidou, de créer un centre culturel sans pareil dans le monde. Un désir qui se concrétise par le lancement, en 1971, d’un concours international présidé par Jean Prouvé, auquel répondront 681 équipes. Contre toute attente, ce sera un tandem anglo-italien, trentenaire et alors strictement inconnu, qui sera désigné lauréat, avec la proposition d‘une machine urbaine flexible n’occupant qu’un tiers d’un plateau transformé en une piazza siennoise.
Grand jouet urbain
L’un des grands intérêts de ces publications, au-delà de leur richesse iconographique, est d’apporter un autre regard, plus transversal sur l’icône. Ainsi le premier volume dépeint la rencontre relevant d’un certain déterminisme entre Renzo Piano et Richard Rogers: l’influence de l’Italie sur les deux hommes et le fait qu’ils ne cesseront de se croiser en fréquentant les mêmes lieux de formation, de se passionner chacun pour la préfabrication. On voit passer, entre autres, Franco Albini, Cedric Price, Norman Foster, et on saisit alors mieux combien ces coïncidences se matérialiseront et se légitimeront au fil de leurs sept années de collaboration sur Beaubourg. Axé sur le chantier, le volume 2 ne se contente pas de retracer la trajectoire architecturale du projet mais l’élargit intelligemment au plan contextuel. A ce titre, la plongée dans les archives du Monde se révèle très éclairante sur la réception du bâtiment par le grand public, les intellectuels et les politiques. A dominante sociologique, le dernier opus revient sur les quarante années d’existence de ce «grand jouet urbain» (Renzo Piano) qui semble s’être atrophié, bien loin de la transversalité et de l’ouverture à tous initiales, et davantage axé sur les grandes expositions bankable. Néanmoins, là aussi, bien qu’il faille maintenant payer pour pouvoir emprunter l’escalator, la modularité conceptuelle et géniale du bâtiment fait qu’il s’adapte à tout, même aux pires exigences sociales et culturelles. L’esprit de Beaubourg est abîmé, quand le bâtiment resplendit toujours.
- De Beaubourg à Pompidou: T I, les architectes 1968-1971, Ciccarelli Lorenzo; T II, le chantier 1971-1977, Jankovic Nikola; T III, De Beaubourg à Pompidou, Anne Rey, Louis Pinto, Jean-Louis Violeau, Alain Guiheux, Boris Veblen.
- Editions B2, Paris, 2017, 19 euros chaque volume.