Regard de photographe: Luc Boegly + Sergio Grazia, deux stratèges pour une signature

Regard de photographe: Luc Boegly + Sergio Grazia, deux stratèges pour une signature
© Marco Zavagno - Luc Boegly + Sergio Grazia

 

Chaque semaine, AMC donne la parole à un photographe d'architecture pour commenter l'une de ses prises de vues. Invité de cette série: Luc Boegly et Sergio Grazia

 

Certaines rencontres ne sont pas liées au hasard. Il n’est pas surprenant que la trajectoire de Luc Boegly ait croisé celle de Sergio Grazia. Largement publiés dans la presse spécialisée, ces deux photographes d’architecture, choisissent de former en 2016 le duo Boegly + Grazia, affichant sans complexe leur volonté de concurrencer les plus grands de la scène internationale. Luc Boegly se consacre à son art, reconnu pour son sens du point de vue et la pertinence de son regard. Il est, en 25 ans, devenu l’un des incontournables du milieu. Entré plus tardivement dans le cercle de professionnels, Sergio Grazia, a réussi à imposer son style « reporter du vivant » qui, en France, coïncidait avec le besoin latent de renouveau. Il est rapidement remarqué par les agences d’architecture et son carnet de commande ne faiblit pas. Choisissant la collaboration plutôt que la concurrence, ils sont à eux deux une alliance de compétences, et délivrent conjointement le meilleur de leur production. A tour de rôle, ils s’expriment sur leur collaboration.

 

«Nous différences sont complémentaires»

 

Sergio : J’ai appelé Luc en 2012, pour lui proposer de participer à un projet de table ronde, réunissant une dizaine de photographes, dont le projet était de partager les expériences professionnelles. C’était un mythe ! Je connaissais son travail bien avant de me lancer. Plus jeune que lui dans le métier, je craignais d’être perçu comme un troubleur d’ordre et je redoutais, à tort, de lui proposer cette rencontre.

Luc : Il apportait une nouvelle façon de photographier l’architecture et ses images rapidement remarquées, devenaient une concurrence sérieuse. J’appréciais sa proposition et j’étais plutôt curieux de le connaître.

Sergio : Nous nous retrouvions régulièrement pour échanger des informations, nous parlions de travail et d’autres choses aussi, petit à petit, l’envie de travailler ensemble s’est précisée, contrairement aux réunions à dix que nous avons abandonnées.

Luc : La génération de Sergio est venue à la photographie par le numérique. C’est un photographe très mobile, à l’affût. Il cherche continuellement à travers son objectif, travaille à la visée. Je m’inscris d’avantage dans l’histoire des techniques. J’ai besoin d’un temps d’observation, hérité de mon expérience de la chambre et de l’argentique. Des dispositifs plus lourds, plus lents et plus couteux, qui obligent à faire des choix. Je décide ce que je regarde, comment je le regarde pour définir une posture. Mon corps tout entier fait l’expérience du déplacement dans l’espace. Je suis un obsédé du point de vue. 

Sergio : Dans les années 2010, le panorama de l’architecture contemporaine se globalisait via le net. Iwan Baan, courtisé par les plus grands architectes de la planète, annonçait, en tête de file, le renouvellement de la photographie d’architecture. Aujourd’hui, documenter la façon dont vit un bâtiment, est devenu un des engagements du genre. Je suis un chasseur d’images et j’amenais cette démarche en France, avec un traitement des couleurs et des contrastes inhabituels.

 

«Notre collaboration nous impose des stratégies»

 

Luc : Depuis un an de collaboration, nous sommes confrontés à des situations nouvelles qui remettent en cause nos attitudes de photographes solitaires. Nous sortons des cahiers des charges de la commande traditionnelle, ce qui nous laisse beaucoup de liberté et nous permet de nous ressourcer. Nous choisissons nos sujets, décidons des dates de reportages. Nous sommes plus réceptifs à l’inattendu, plus disposés à nous laisser surprendre, à composer avec la météo et ça se ressent dans nos images.

Sergio : À chaque reportage, il y a stratégie à déterminer en fonction de la situation sur le terrain et l’échelle du bâtiment à photographier. Nous avons fixé des objectifs ambitieux qui nous obligent à être sélectifs et à imaginer des stratégies logistiques pour être efficaces à deux. L’autorisation de photographier, dans un temps très court, l’une des salles de concerts de la Seine Musicale de Shigeru Ban, par exemple, nous a obligés à anticiper nos placements. La partition de l’espace, dans, et autour du bâtiment, jusque dans la ville nous dispense des images superposables prises au même moment au même endroit. Utiliser des focales différentes peut aussi être un outil de complémentarité. Nous partageons le territoire, ce qui stimule notre envie de nous surprendre l’un l’autre, sans compromettre notre liberté d’expression personnelle.

Luc : Nos égos parfois tiraillés sur le terrain, s’apaisent au moment de la sélection. Nous avons découvert le plaisir de travailler les images à deux. Sergio travaille une postprod très fouillée, très maitrisée, je regarde d’avantage la construction globale de l’image, avec la même approche intuitive que sous un agrandisseur. C’est une étape technique qui peut amener une espèce de sécheresse ; il y a toujours la crainte de perdre en fluidité, d’oublier l’intention première. C’est dans l’échange que nous harmonisons le processus et, à chaque fois, nos choix convergent vers le meilleur de nos images. Si nos approches sont parfois différentes, la recherche de l’esthétique nous rassemble. Nos signons délibérément nos photographies sans distinction.

Sergio : Il nous faut entretenir cette émulation du travail commun tout en étant vigilants à conserver nos différences, le risque étant de ne faire plus qu’un. C’est peut-être le seul danger !

 

Les photographies de ce dossier, choisies par Luc Boegly et Sergio Grazia, sont celles qui ont eu une portée médiatique et qui illustre le mieux, selon eux, leur démarche.

 

 

 

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