Réinventer Paris : Pas un radis mais des potagers au kilomètre
- Margaux Darrieus
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Réinventer Paris : les lauréats
75 équipes pour continuer à Réinventer Paris
Les lauréats de Réinventer Paris (1/22): Node - poterne des Peupliers (XIIIe arr.)
Lancé en novembre 2014 par la ville de Paris, l’appel à projets innovants Réinventer Paris a couronné, le 3 février 2016, 22 équipes lauréates sur les 75 dossiers retenus par le jury international. La présentation de leurs projets au Pavillon de l’Arsenal est l’occasion de revenir sur cette procédure controversée.
Difficile de dire que ce n’est pas un succès. Les nombreux articles consacrés à l’événement en attestent : Réinventer Paris, la grande récolte de “projets urbains innovants” lancée par la mairie de Paris stimule les foules depuis qu’elle a révélé ses fruits le 3 février 2016 au Pavillon de l’Arsenal. “Créatifs, originaux et audacieux, les 22 projets architecturaux retenus dans le cadre du concours Réinventer Paris offrent une chance inespérée d’insuffler un air d’innovation dans l’image compassée de ville-musée de la capitale”, exalte Le Monde dans son édito du 6 février 2016. Il est de bon ton d’être aussi enthousiaste devant les séduisantes perspectives des projets lauréats que les promoteurs qui en sont les propriétaires. Car le gros avantage de la manifestation, c’est que les projets sélectionnés “ne coûteront pas un sou au contribuable", explique sur Europe 1 Jean-Louis Missika, adjoint à la maire Anne Hidalgo, chargé de l’urbanisme et de l'architecture.
Pour être admis à concourir à la grande consultation – et à laisser libre cours à son imagination donc –, les candidats architectes étaient en effet priés de trouver promoteurs et plan de financement. Propriétaire des 23 terrains parisiens livrés à la concurrence (nus, pollués ou à imaginer au-dessus du boulevard périphérique, comprenant des bâtiments classés ou des équipements publics à l’abandon comme un transformateur électrique ou un conservatoire), la ville vendra aux investisseurs lauréats les 22 sites qui ont trouvé projet innovant à leur pied. “En haut du dossier de chaque concurrent figure donc le prix que l’investisseur met sur la table pour emporter le morceau”, détaille Sybille Vincendon dans Libération. On ne peut que reconnaître l’intérêt de la transaction puisqu’on annonce 565 millions d’euros de recettes pour la ville, 675 logements sociaux créés parmi les 1341 habitations nouvelles… et mille arbres plantés au-dessus du périph dans le XVIIe arrondissement !
L’innovation n’a pas de prix
Mais, pour bien faire, il faudrait ajouter au solde de tout compte “ces autres millions d’euros dépensés par les équipes non lauréates et les heures de travail non rémunérées… Pour réinventer Paris, il en est allé de l’exploitation”, analyse, un brin remonté, Jean-Philippe Hugron dans Le Courrier de l’architecte. En effet, Réinventer Paris ne s’est pas fait en un jour : en juin 2015, seules 75 équipes des 372 groupements (composés d'investisseurs, d'architectes, de maîtres d’ouvrage, d'opérateurs, d'universitaires, d'artistes...) ayant déposé un dossier de candidature un mois plus tôt avaient été autorisées à poursuivre la compétition et à approfondir leur proposition avant le jury final, début 2016. Mais rien, dans le règlement de la consultation, n’a encadré la rémunération des équipes de conception par le promoteur du groupement, si ce n'est une timide suggestion faite à ces derniers par la mairie de Paris, celle de "s'engager à ce que des missions complètes de maîtrise d'œuvre soient confiées aux concepteurs et bureaux d'études tout au long du processus, c'est-à-dire de l'élaboration de l'offre, jusqu'au suivi du chantier et sa réception". Mais on ne saura pas à quelle hauteur les phases d’études ont été rémunérées, si elles l'ont été. Et Sybille Vincendon de conclure dans Libération : “Au total, 53 équipes perdantes rentreront chez elles sans un radis d’indemnisation. Réinventer Paris réinvente aussi les consultations. Mais Anne Hidalgo a promis "une bourse des projets non retenus" à réaliser plus tard.”
Mille Arbres, Sou Fujimoto Architects, Manal Rachdi - OXO Architects, Compagnie de Phalsbourg, OGIC, MORPH, projet lauréat Réinventer Paris sur le site Pershing (XVIIe arrondissement)
Quand certains se réjouissent que la capitale quitte enfin ses habits de ville-musée, d’autres, moins nombreux, regrettent qu’on la livre à l’appétit du privé sans avoir imposer, d’abord, un régime de santé… “La plupart des équipes, il faut le rappeler, n'ont pas été payées ! Des milliers de gens ont travaillé pour rien. Bien sûr, la ville se défend en disant que c'est une consultation de projets de valorisations foncières menés par des promoteurs privés. Ce qui est légalement vrai, mais philosophiquement irrecevable. Faire travailler les gens gracieusement, ce n’est pas responsable”, défend – un peu tard ? - Catherine Jacquot, présidente du Conseil national de l'ordre des architectes, interrogée par le journaliste Luc Le Chatelier (Télérama), fustigeant la “désinvolture”, le “cynisme” de la ville… Interrogé par Marie-Douce Albert pour Le Moniteur, à la suite des propos de la présidente de l'Ordre, Jean-Louis Missika assure que la mairie "a pris la peine de vérifier" et qu'elle a maintenant "la conviction que la majorité des 75 équipes d’architectes, mais aussi les bureaux d’études qui étaient finalistes ont été payés par les promoteurs". Au fond, le problème n’est-il pas qu’il y a toujours des candidats pour ce genre nouveau de procédure, peu encadrée? “En ces temps de crise où les architectes meurent de faim, ils se sont tous rués dans l'aventure, travaillant jour et nuit et pour pas un rond à sortir la capitale de son formol haussmanien”, selon Luc Le Chatelier dans Télérama. “Notre profession est tellement en crise que les architectes sont prêts à tout”, regrette, amère Catherine Jacquot. Parmi les 4000 personnes à s’être pressées au pavillon de l’Arsenal le soir de l’inauguration de l’exposition des résultats, on imagine qu’il y avait beaucoup d’architectes. Ils ont été les spectateurs du sacre des promoteurs en la maison de l’urbanisme et de l’architecture francilienne.
MERCI A TOUS !! Vous étiez plus de 4000 à #inauguration #expo #ReinventerParis !
— PAVILLON ARSENAL (@PavillonArsenal) 4 Février 2016
>> https://t.co/eI8XAFrxPw #paris pic.twitter.com/lN1dsqErd6
L’innovation a une couleur
Si l’innovation n’a pas de prix, elle a au moins une couleur. Serres partagées, toits-potagers, façades d’algues ou de houblon (!), forêt sur le toit… Un voile vert recouvre la majorité des perspectives remises par les équipes lauréates. “Les images rapidement diffusées ont des allures de rayon fruits et légumes”, décrit Jean-Philippe Hugron sur Le Courrier de l’architecte. “Il y en a partout. "26000 mètres carrés de surfaces plantées dont 4000 en pleine terre", a résumé Anne Hidalgo”, rapporte Sybille Vincendon dans Libération. Il faut dire que les vœux de la mairie sont clairs : "Le verdissement de la ville est devenu quelque chose d’essentiel”, affirme Jean-Louis Missika sur Europe 1. Autre tic, la structure bois, très répandue. De la végétalisation, du bois, des espaces partagés et des plateaux de coworking ultraconnectés (?)… Pas grand-chose de nouveau au fond, Europan nous offre déjà ça depuis longtemps. Heureusement, “les architectes ont porté une attention particulière à la qualité de vie et à l’environnement” se réjouit de son côté Le Monde… Ouf ! Dans Télérama, Luc Le Chatelier dresse un autre inventaire, celui des programmes : “café solidaire, atelier vélo, start-up, chambre d'amis et salle des fêtes communes... Effet de mode ? On verra à l'usage.” On verra surtout si les promoteurs s’y tiennent, car on ne donne pas cher de ces - très en vogues - “tiers-lieux”, qui peuvent disparaître au fil des études de mise en œuvre de projets. Si les idées ne sont pas nouvelles, on espère que Réinventer Paris leur fera passer le stade du concours d’idées. “On peut avoir des mises en chantier dès l’année 2017 et des livraisons dès l’année 2019", assure en tout cas Jean-Louis Missika sur France Info.