Une philosophie politique de l’espace public - Livre
- Mathias Rollot
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Rococo de François Chaslin, lauréat du prix du livre d'architecture de l'Académie
On saluera sans peine la parution française de l’énorme ouvrage du philosophe allemand Ludger Schwarte. Ce dernier s’appuie sur une somme intellectuelle impressionnante en provenance de toutes les époques pour discuter de très nombreux concepts classiques, des problématiques générales de la spatialité, ses usages, conflits et conceptions.
Les riches chapitres qui composent l'ouvrage du philosophe allemand Ludger Schwarte font feu de tout bois – à l’occasion, ils dérivent même jusqu’à se perdre un peu. Des exemples précis, qui oscillent entre l’Antiquité gréco-romaine et le Paris du XVIIIe siècle, font écho à un art philosophique pleinement maîtrisé, et l’ensemble est rédigé dans une langue poétique puissante magnifiquement traduite. Si ce Philosophie de l’architecture paraîtra vertigineux, voire un peu «démesuré» à certains, il peut être considéré comme une référence sur le sujet de l’espace public. Peut-être d’ailleurs aurait-il plus aisément trouvé son lectorat sous le titre de Philosophie de l’espace public.
Coloration anarchiste
Quelques questions peuvent en effet être soulevées au sujet de l’adresse et de la destination de l’ouvrage. Il faut dire tout d’abord à quel point cette «philosophie politique» à la coloration explicitement anarchiste pourra sembler bien banale et pompeuse, voire fumeuse, aux activistes militants. Ces derniers étant conscients, de longue date, des relations entre spatialités et capacités individuelles et sociales, et déjà bien occupés sur le terrain à mettre en acte, très consciemment, «l’intuition» de Schwarte que l’architecture pourrait prendre part aux «mouvements de libération» et «d’émancipation». L’hypothèse aurait pu en revanche intéresser les milieux de l’architecture convoqués par le titre de l’ouvrage, si ce n’était avant tout depuis la philosophie qu’y était pensée la problématique du sens, du rôle et des limites de l’architecture; et surtout, à destination des philosophes. De la discipline architecturale, Schwarte ne convoque que quelques rares anecdotes et personnalités historiques.
Exit l’idée de discipline autonome
La théorie architecturale, quant à elle, est assez grossièrement évacuée au prétexte qu’elle serait «l’expression de l’idéologie de la planification» et ne consisterait en rien d’autre que «la tentative de formuler des principes, des maximes et des règles qui devraient guider la pratique du bâtir». En tout point, l’ouvrage voit en l’architecture un objet d’étude; exit l’idée de discipline autonome, productrice de savoir, de méthode et d’outils. C’est dommage pour cette philosophie elle-même, qui perd là toute possibilité de dialogue avec l’histoire des idées produites par la discipline architecturale sur ce sujet exact, de Tafuri à Aureli, en passant par De Carlo, pour ne citer qu’eux. Les architectes devront donc, une fois de plus, ravaler leur orgueil et faire l’effort de se plier à cette philosophie qui les confronte tout en les ignorant pleinement, pour réussir à considérer l’enquête proposée et sa multitude de pistes philosophiques comme la source intarissable et stimulante qu’elle est bien, factuellement parlant.
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Philosophie de l’architecture, Ludger Schwarte. Traduit de l’allemand par Olivier Mannoni. Editions Zones, 2019, 528 p., 25 €.