LE LITTORAL CHARENTAIS, LABORATOIRE DE LA MODERNITÉ

Si Royan bénéficie aujourd'hui d'une reconnaissance patrimoniale, la « Ville la plus années 50 de France » selon la formule de Jacques Lucan, elle ne saurait résumer à elle seule la créativité des années d'après-guerre, en particulier concernant les maisons d'été. C'est ce que révèle l'exposition « Maisons des bords de mer » présentée par le CAUE de Charente-Maritime, qui a chargé l'historien Gilles Ragot de retracer quarante ans d'histoire de la résidence balnéaire sur le département. Ce travail titanesque de six années d'étude a donné lieu au recensement de 12 000 maisons - dont plusieurs centaines sont documentées - dans les communes littorales de Charente-Maritime. Il en résulte la constitution d'un panorama architectural passionnant, témoin de la richesse expérimentale de ce territoire qui, au cours des Trente Glorieuses, a renouvelé les codes de la villa de bord de mer, entre modernité et réinterprétation locale. Et ce, d'autant plus que les ravages de la guerre ont fait table rase de vastes secteurs de villégiature, à Royan et dans les communes voisines.

De l'émergence de la société des loisirs et de la démocratisation des congés s'ensuit une profonde mutation économique et sociologique, qui invite les architectes à réinventer la résidence balnéaire ; d'une maison cossue, voire aristocratique, celle-ci devient une maison de vacances pour tous. Jusqu'alors inexistante sur le littoral atlantique, l'architecture moderne devient le terrain de jeu d'architectes tels Marc Quentin, Pierre Marmouget, Pierre Grizet ou Hervouet & Caris, mais aussi d'entrepreneurs concepteurs auteurs de réalisations de grande qualité, comme Roger Barre.

Au pluralisme stylistique et typologique de ce corpus qui alterne modernité brésilienne ou rationaliste et maisons blocs des années soixante, il faut ajouter une touche de régionalisme, étonnamment venu du Sud-Ouest basco-landais, que l'on retrouve sur certaines villas. A partir des années 1970, apparaissent une banalisation des genres et une postmodernité vernaculaire.

En faisant exister un patrimoine jusqu'alors méconnu, on peut mesurer l'élan créatif qui a accompagné ces constructions. Et qu'elles soient spectaculaires ou plus ordinaires, l'exposition pose la question de leur conservation. Il s'agit d'un existant demeuré fragile, qu'un changement de baie ou une isolation par l'extérieur suffisent à dénaturer. Aussi, on ne peut que louer le dynamisme du CAUE 17, qui, par cette exposition - pour laquelle de splendides maquettes ont été conçues - et le livre qui l'accompagne, développe une vision culturelle de l'architecture qui porte haut sa mission de service public.

MAISONS DES BORDS DE MER. MODERNITÉ ET RÉGIONALISME EN CHARENTE-MARITIME, 1945-1980

Jusqu'au 8 juillet 2023 à la médiathèque Michel-Crépeau, La Rochelle.

D'avril à septembre 2024 au centre d'interprétation d'architecture et du patrimoine, Royan.

MAISONS DES BORDS DE MER

Texte de Gilles Ragot, préface de Michel Gallice Hermann Editeurs, 236 p., 2023, 36 €.