Plan Libre, quand un journal devient livre

Il est toujours passionnant de décortiquer l'évolution des publications spécialisées en architecture, tant elles sont de puissants miroirs des mouvements qui animent la communauté de leurs lecteurs. À l’occasion du vingtième anniversaire de son journal mensuel Plan Libre, la Maison de l'Architecture Occitanie-Pyrénées, publie un ouvrage de 328 pages. Une somme, pour célébrer 200 numéros d'une publication plus ambitieuse que ce que ses animateurs voudraient nous faire croire... Mais que la lecture de l'ouvrage, 200 Plan Libre, Anatomie d’un journal d’architecture révèle au fil de fac-similés et de mises en perspective historiques et théoriques rédigées par ses contributeurs d'hier et d'aujourd'hui, les architectes Daniel Estevez, Joanne Pouzenc et Sébastien Martinez-Barat.

Introspectif autant que prospectif, le livre 200 Plan Libre est protéiforme, tourné vers le passé et l'histoire de la publication toulousaine, autant qu'ancré dans son actualité éditoriale. On y suit l'évolution de la revue pensée à son lancement en 2002, pour diffuser et infuser la culture architecturale chez les étudiants de l'Ensa Toulouse et les professionnels régionaux. Le chapitre "Fac-similés" présente une sélection des 576 articles publiés depuis la création de la publication (des tribunes, des retranscriptions de conférences, des expériences pédagogiques, des dossiers sur le patrimoine moderne régional, etc.). Le chapitre "Recueil d'images" raconte l’« augmentation progressive de l’importance donnée aux documents graphiques », à l’instar de l’omniprésence de l’image dans la représentation de l’architecture. Enfin, les diagrammes du chapitre "Analyse de données" dissèquent les 200 numéros en y appliquant différents filtres (les mots les plus utilisés, les architectes les plus cités), mais ils laissent aux lecteurs le loisir d’en établir le diagnostic.

À travers l'ensemble de ces matériaux, on comprend une publication pensée pour "faire école", c'est-à-dire souder une communauté autour de problématiques professionnelles et de débats culturelles. De l'actualité de l'Ordre à la défense d'une architecture locale de qualité jusqu'à la thématisation d'aujourd'hui, la ligne éditoriale de Plan Libre évolue suivant les préoccupations de ses contributeurs : faire corps, médiatiser du patrimoine mésestimé ou encore, stimuler le débat alors que les défis intellectuels et professionnels de l'architecte sont immenses aujourd'hui. On comprend, à la lecture des textes introspectifs qu'ils signent en introduction de l'ouvrage, que les animateurs actuels de Plan Libre s'affilient au travail que mena brillamment Criticat dans les années 2010. Pourtant, le format moins universitaire de la publication toulousaine l'autorise à frayer des chemins plus inédits que ceux qu'emprunte une critique architecturale parfois trop contenue dans son milieu. Autrement stimulant, Plan Libre puise dans d'autres univers pour interroger la fabrique de l'espace aujourd'hui (le graphisme, la philosophie, la géochimie, etc.). En témoignent, les thématiques abordées ces dernières années dans le mensuel - "L'enquête", "Le style anthropocène", "Animal malgré tout" notamment - jusqu'au dernier sujet, mordant, "Sans construire, sans démolir".

Plan Libre a évolué tout comme sa maquette, dont la version actuelle est l'œuvre du graphiste très en vue, Pierre Vanni. Moins brouillonne qu'à ses débuts, plus sophistiquée, la mise en page s'est rationalisée - grands titres sur aplats noirs, textes en colonnes et visuels pleine page. Mais le format reste, c'est la signature de Plan Libre depuis 20 ans : moins de 20 pages en papier journal léger, à glisser sous le bras ou à découvrir en intégralité sur le site internet dédié.
 

• 200 PLAN LIBRE : ANATOMIE D'UN JOURNAL D'ARCHITECTURE, Maison de l'Architecture Occitanie-Pyrénées, MBL architectes, atelier Documents, 328 p., 2023, 38 €.