Quand le doute plane sur l’architecte Norman Foster - Exposition

Inaugurée le 10 mai 2023 à Paris, l’exposition consacrée à l'œuvre de Norman Foster se tient au Centre Pompidou à Paris, jusqu’au 7 août 2023. Entre autocélébration et réécriture de l’histoire, elle est l’occasion de retracer le parcours et d’interroger les contradictions de l’architecte britannique, lauréat du prestigieux Pritzker en 1999 et passionné d’aviation.

Exposition Norman Foster, Centre Pompidou, 2023 - © Centre Pompidou_Janeth Garcia Rodriguez
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Après avoir emprunté les chenilles de Beaubourg, l’arrivée au sixième étage du Centre Pompidou est poétique : des cimes de Paris, nous voilà dans les nuages, ceux qui enveloppent les puissantes piles du Viaduc de Millau, dont une vue aérienne accueille le visiteur s’apprêtant à pénétrer dans l’antre temporaire de Sir Norman Foster. L’ascension se mue rapidement en voyage spatio-temporel, à travers une multitude de dessins techniques signés du starchitecte et affichés au mur, accompagnés d’une sélection de carnets de croquis, sous cloche et à hauteur d’aine. De son premier dessin réalisé à l'âge de 13 ans, en 1948, jusqu’à l’un de ses derniers avant le montage de l'exposition, on comprend aisément l’importance de ce médium dans le processus de conception de l’architecte. On saisit également son goût prononcé pour la représentation en coupe, comme dans le magazine Eagles qu’il affectionne, rempli de dessins éclatés d’avions. Ici un croquis de vélo, là des chaises, des valises ou encore des lunettes. Ce cabinet de dessins dévoile la curiosité de Foster pour ce qui l’entoure et ses inspirations de voyage, comme à la Chapelle de Ronchamp de Le Corbusier.

 

L’entrée dans l’espace principal de l’exposition dévoile une diversité de maquettes et de manière de les faire que les étudiants en architecture apprécieront certainement. En filigrane de ces immenses modèles réduits qui côtoient des détails à l’échelle 1, c’est l’histoire professionnelle de l’architecte britannique qui se donne à lire : ses rencontres, particulièrement celle avec Buckminster Fuller, et sa principale rupture, celle avec la Team Four et Richard Rogers en 1963, point de départ de l’agence Foster + Partners.

Norman Foster en zone de turbulence 

Malgré tout, après un décollage réussi, cette profusion de dessins -orphelins de cartel- et d'œuvres qui ont influencé Norman Foster, provoque progressivement le mal de l’air. Quelque chose plane au-dessus de nos têtes, à l’instar de la coupole du Reichstag. Alors on se saisit hâtivement du fascicule de l’exposition comme l’on se saisirait des consignes de sécurité d’un avion en difficulté : «Cette exposition aborde les thématiques du développement durable et de l’anticipation de l’avenir, dont Norman Foster, ses partenaires et ses collaborateurs, se sont fait précurseurs dès les années 1960», peut-on lire. Cela ne saute pas aux yeux d’associer Foster au développement durable, tant son œuvre décrite comme High-tech s’érige par assemblage d’acier, de verre, de béton et autres matériaux issus de l’industrie. Pourtant, le bois est très présent – dans les maquettes surtout, auxquelles des installations lumineuses dernier cri donnent un air plus ou moins «vert», suggérant la présence de nature dans les édifices. Les masques tombent et diffusent un greenwashing premier degré, en quelque sorte.

 

À travers ces dispositifs clinquants, l’architecte britannique semble vouloir nous prouver son côté «écolo». Il célèbre aussi son humanisme, via une frise dévoilant les noms de 10 000 collaborateurs passés par l'agence entre 1964 et 2003. Tandis que les maquettes, particulièrement celle d’une maison conçue en 1975 et ornée de panneaux solaires, d’éoliennes et d’une parcelle de permaculture, commencent à nous embuer, l’on se retrouve face-à-face avec un avion, une voiture, un dôme géodésique, une forêt de maquettes de gratte-ciel, etc. En fait, une collection de projets génériques d'un monde globalisé qui s'inquiète peu de son impact écologique, et dans lequel navigue le starchitecte. Puis l’exposition s’achève par un atterrissage, ou plutôt un alunissage étonnant : on y découvre les «perspectives futures» que développe Norman Foster, entre aéroports de drones et habitat sur la Lune. Alors que la mise en perspective critique de sa production est inexistante, la majorité des cartels sont écrits à la première personne par l’architecte lui-même.

 

Norman Foster se défend, dans une interview accordée au commissaire de l’exposition Frédéric Migayrou d’une «architecture intemporelle». Il semble surtout se servir de cette exposition pour réécrire son histoire de concepteur. Car cet événement, le starchitecte en est à l’origine : il l’a conçue et financée, en partenariat avec sa propre fondation, la Norman Foster Foundation, et des partenaires privés, Bloomberg, J.P. Morgan et JCDecaux. La zone de turbulence s’accentue d’autant plus lorsque l’on se souvient des nombreux mantras inscrits dans ses carnets de croquis : «Le rôle d’un professionnel en gestion de projet est d’anticiper les problèmes, pas d’en créer». À Beaubourg, Foster semble perdre le contrôle, tant les projets présentés dans son exposition le contredisent. Face à l’urgence climatique qui secoue le monde, y-a-t’il un pilote dans l’avion Pompidou ?


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  • Fanou

    Un peu MÉCHANT quand même cette critique bobo-écolo qui ne se resitue pas dans le ou les contextes de l'époque de chaque production de N. Foster. Évidemment que Beaubourg apprécie les "artistes" qui amènent le financement de leur expo ! C'est tellement rare et ça fait du bien au budget de la Culture ! Bref j'ai adoré !

  • Aleie

    Merci pour cet article : il décrit exactement la variation de sentiments que j’ai éprouvés en visitant l’expo, depuis la très touchante salle des carnets jusqu’au malaise publicitaire des dernières salles. N’étant pas architecte mais amatrice d’art j’ai été frappée par cette thèse sans antithèse, avec la sensation que les clefs de Beaubourg avaient été remises à Norman Foster pour institutionnaliser une gloire prétendument écolo. Gênant.

  • Olivier

    Cet expo à Beaubourg sur cet archi talentueux Norman Foster manque totalement de cohérence tant dans le pseudo discours sur le respect de l'environnement (ces pjts modernistes dans le Golfe prétendant économiser l'énergie !!) que dans l'organisation des éléments exposés. On aurait aimé suivre les étapes d'élaboration de 1 ou 2 projets avec les dessins et maquettes, de préférence les pjts de ces premières années. Encore un archi doué atteint d'Hubris

  • Deva

    Bonjour, merci pour cet article et cet esprit critique ! Je m'étrangle régulièrement devant des présentations de maisons secondaires éco-conçues et en "osmose" avec la nature de plusieurs centaines de M2... (parfois avec piscine) Pour quel usage ? Il serait temps de revenir à plus de raison et de sobriété dans nos constructions et dans nos représentations. Y compris les expositions. En effet, il faudrait commencer par développer un nouvel imaginaire collectif.

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