Superstudio, fossoyeur du modernisme
- Mathieu Oui
- 26/07/2019 à 10h00
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Tel un linceul blanc posé sur l’architecture moderne, des dizaines de volumes plats immaculés recouvrent le sol de la première salle de « Superstudio, la vie après l’architecture ». Cette vision funèbre ouvre la rétrospective que le Frac Centre-Val de Loire consacre au groupe d’architectes radicaux italiens. Intitulée Istogrammi di architettura (Histogrammes d'architecture), l’installation se compose de modules au design unique et reproductibles à l’infini : une grille de carreaux blancs de 3 x 3 cm. L’oeuvre date de 1969, soit un an après les événements de Mai-68. « Superstudio veut faire table rase de la doxa du modernisme et revenir à un degré zéro de l’architecture », résume Gilles Rion, coordinateur artistique au Frac Centre-Val de Loire. Pour les jeunes Florentins, l’architecture et le design participant de l’aliénation humaine, il faut les faire disparaître. La série Misura (Mesurages, 1969-1972) décline ce principe de la grille en laminé blanc sous la forme de meubles. Tables, consoles, bancs, lits ou tabourets sont à considérer comme autant « d‘exorcismes contre la confusion et la consommation injustifiée ». Superstudio est fondé en 1966 à Florence par les architectes Adolfo Natalini et Cristiano Toraldo di Francia. Le groupe, qui sera actif jusqu’en 1978, est rejoint par Gian Piero Frassinelli, Roberto et Alessandro Magris et, de 1970 à 1972, par Alessandro Poli. Fondé la même année à Florence autour, notamment, d’Andrea Branzi, Archizoom se place également dans cette radicalité et ce rejet du modernisme. En décembre 1966 à Pistoia, l’exposition « Superarchitettura » réunit les deux groupes ; le texte manifeste fondé sur l’emploi du superlatif constituera l'acte fondateur de Superstudio.
De l’importance du récit
L’exposition suit un parcours chronologique. Richement documentée, elle réunit 150 oeuvres issues du Frac et de sept prêteurs, dont le Centre national des arts plastiques, le MAXXI et les archives personnelles de membres du groupe. Ayant compris le pouvoir des médias de masse, c’est essentiellement à travers l’image et le récit que les membres de Superstudio diffusent leur critique de la société moderne. L’exposition fait donc la part belle aux images, sous la forme de photomontages, de vidéos mais aussi d’affiches et de publications. Ces outils de la culture populaire sont nourris par la philosophie, la littérature, la sociologie ou l’anthropologie. Le Monumento continuo (Monument continu, 1969) constitue l’oeuvre emblématique de cette vision dystopique destinée à réveiller les consciences. Des lacs de montagne italiens à Manhattan en passant par la rue d’une cité ouvrière d’Angleterre, cette arche monumentale est conçue pour recouvrir la planète en franchissant tous les obstacles naturels ou construits. Dans cette volonté de faire table rase, Superstudio s’attaque directement au patrimoine italien Le colisée de Rome est transformé en une sorte d’hôtel capsule avant l'heure et Venise, désormais recouverte de pavés, est rendue à la circulation automobile. Alors que la péninsule italienne est frappée par une multitude de catastrophes naturelles (séismes, crues dévastatrices), Superstudio critique avec son Sauvetage des centres historiques italiens (1972) la vanité de cette obsession de la sauvegarde. Et pour revenir aux sources philosophiques et anthropologiques de l’architecture, le groupe n’hésite pas à manier l’ironie au bulldozer et à pratiquer la surenchère de signes (bâtiments iconiques mêlés aux images de cinéma d’anticipation). En décembre 1971, dans la revue Architectural Digest, il publie Les douze villes idéales, « série de contre-utopies à vocation cathartique ». La première ville est surnommée Ville 2 000 tonnes parce qu’un lourd plafond s’abat sur les rebelles du système… Dans les films consacrés à la série sur les Actes fondamentaux (vie, éducation, cérémonie, amour, mort), le commentaire tout comme la musique sont volontairement grandiloquents.
Mise en perspective historique
En milieu de parcours, le commissaire Abdelkader Damani replace le propos du groupe florentin dans une perspective historique. Réalisé à partir des collections du Frac, un « atlas des utopies » réunit les oeuvres de 25 artistes et architectes européens et américains de cette même période. Certains travaux font directement écho à la radicalité de Superstudio, à l’instar des images d’empilement de maisons et de végétation dessinées par l’Américain James Wines, ou de l’installation Non-stop city d’Archizoom, dans laquelle, par un effet de miroirs, la ville semble s’étendre à l’infini. Les abris bricolés d’Ugo La Pietra (Récupérations et réinventions) peuvent se lire en regard de la valorisation des outils paysans par Superstudio. Parmi les rares projets à finalité constructive, La case vide, de Bernard Tschumi (1983), met en oeuvre le principe de déconstruction. Pour le parc de la Villette, un cube rouge se fragmente en une série de folies. Réparties tous les 120 m, ces 25 constructions dessinent une grille régulière et orthogonale éclatée sur l’ensemble du site. En guise de conclusion, une salle est consacrée à l’activité proprement architecturale de l’agence d’architecture et de design. Parmi les quelques projets exposés figure une série de villas prêtes à l‘emploi, dont cinq maquettes réalisées pour l’exposition. On y retrouve la grille blanche et une typologie, volume rectangulaire et toit-terrasse, qui n’est pas sans rappeler le style iconoclaste du groupe. Une architecture presque sans ouvertures, comme repliée sur elle-même.
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Superstudio, la vie après l’architectureJusqu’au 11 août 2019 au Frac Centre-Val de Loirefrac-centre.fr
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Atlas des utopiesJusqu’au 11 août 2019